Max Braslavsky

[...] on laisse de soi-même dans tout ce que l'on fait, que ce soit raté ou réussi [...]

- D'ailleurs, je parie que vous ne faites pas la cuisine.
- Vous vous trompez, ma chère.
- Ah ?
- Je fais comme personne les oeufs au plat brûlés.
- Qu'est-ce que c'est ?
- C'est une recette que j'ai inventée. On brise deux œufs dans une poêle, on allume le feu dessous et on passe à autre chose.
- Je ne comprends pas.
- On se rappelle qu'on a un travail urgent à finir, et on oublie les œufs. Qui brûlent.
- Vous vous moquez de moi ?
- Oui.

- Ah ! c'est charmant ! Mais vous avez l'art de me faire tourner en bourrique ! Vous m'en voulez de toutes les fadaises que je vous ai racontées...
- Oh ! non, voyons. C'étaient de très gentilles fadaises. Qu'est-ce qu'une bourrique ?
- Eh bien, moi, je vous en veux ! Oui, je vous en veux ! Vous m'avez menée en bateau !
- Ça aurait pris beaucoup plus de temps à pied, vous le savez très bien...

Tout au long de la traversée, les pensées de notre voyageur revenaient sans cesse à la belle Nelson, et lui laissaient sur le visage un demi-sourire un peu idiot.
Au large des îles du Cap-Vert, il se rappela ses cheveux noirs, ondulés et brillants. [...] Vers les Açores, il crut revoir sa bouche fine, prompte à laisser échapper des propos ironiques. Aux îles Madères, ses yeux en amande lui apparurent, et en longeant l'Irlande, il eut la révélation que tous ces traits charmants appartenaient à la même personne. Si bien que pour finir, en débarquant à Liverpool, il en était tombé parfaitement amoureux.

Il tentait de se rassurer sans vraiment y parvenir, quand ses yeux se posèrent sur l'orchidée, qui se tenait sagement devant lui.
Petite, blanche, avec un liseré ocre autour de ses pétales, c'était exactement l'illustration que Winslow en avait faite, sans l'avoir jamais vue. [...] son esprit fantasque avait peut-être, par accident, rencontré une terrible réalité.
Il s'immobilisa, et considéra longuement la fleur rare. Mais plus il l'interrogeait des yeux, et plus il s'exhalait d'elle une tranquillité, une fraîcheur qui le désarmait.

Peu à peu, une féerie nocturne se déploya.
Les étoiles étincelaient. Chaque feuille de la jungle, petite ou grande, haute ou basse, se parait d'un reflet d'argent bleu. Plus loin, c'étaient de grandes vallées d'ombre que venaient transpercer cent rayons de lunes verticaux. L'eau elle-même s'animait de mille petits diamants en pointe. Et au milieu de tout ce bleu, dans sa drôle de petite cage en osier, l'orchidée blanche luisait de son plus pur éclat.
A ce moment de la nuit, Winslow ne douta pas qu'elle recelât quelque secret magique.

Ô vocations contrariées ! Ô passions réprimées ! Ô idéaux meurtris !
Vos ravages comptent double dans les grandes catastrophes de l'histoire !

- Est-ce que ce sera tout, monsieur ?
- Oui, ce sera tout. Et je me permets de vous rappeler que je n'aime les sablés au citron que très peu cuits.
- Oui, monsieur.
- Très peu cuits, madame Keeps. Les sablés.
- J'entends bien, monsieur.
- Keeps. Les sablés. Vous ne sentez rien ?
- Oh ! Les sablés ! Je cours, monsieur ! Je vole !

Autour de lui, le visage de Nelson se reflétait partout, sur la laque du piano, sur les vitres de la fenêtre, et même sur l'affreux vase de Sèvres légué par Tante Gertrude. Chère et lointaine Nelson ! [...] A ses pieds, les entrelacs du tapis persan redessinait à l'infini ses contours harmonieux. S'il regardait en l'air, les ornements du plafond lui évoquaient sa chevelure ondulante. Quand il fermait les yeux pour dormir, elle revenait vers lui par la voie des rêves.

-Oh ! Nelson ! mais vous avez dû souffrir terriblement ! On doit être affreusement à l'étroit dans une petite fleur comme ça !
- C'était surtout de ne pas pouvoir parler...
-C'est atroce, pour une femme.