Valparaiso et la société chilienne - Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 19, 1847 (p. 59-88)
Si l’on n’a pas connu les fatigues, les ennuis de la traversée du cap Horn, il faut renoncer à comprendre le charme mystérieux qui s’attache, pour le voyageur impatient et attristé, à ce doux nom de Valparaiso, sans cesse répété comme une consolation, comme un espoir, à travers les périlleux hasards d’une navigation contrariée par les vents. Que de fois, battus par une mer furibonde, nous mesurâmes tristement sur la carte marine l’espace qui nous séparait du port ! Que de semaines froides et tourmentées nous passâmes dans cette pénible attente ! Toujours d’étourdissants roulis, toujours un ciel morne où des nuages gris fuyaient comme un troupeau effaré sous le fouet du vent. Enfin le changement de latitude vint apporter quelque soulagement à cette souffrance quotidienne. La mer cessa de battre en brèche les flancs du navire, les jours redevinrent tièdes et limpides, les nuits reprirent leur parure d’étoiles. Un soir, dans les profondeurs de l’horizon, nous vîmes apparaître la silhouette incertaine d’une côte ; bientôt un phare montra dans la brume sa lueur sanglante, et, quand vint le jour, une vigie signala Valparaiso sous un rayon de soleil.
Le travail des femmes se borne à cuire, à écorcer, à triturer la pulpe des fruits à pain pour en faire de la popoï [...]. Elles préparent en outre le keïka, popoï sucrée, puis un autre mets appelé le kaku, purée faite avec du fruit à pain cuit, broyé au pilon de pierre et arrosé d'un lait d'amande râpée de noix de coco [...].
Ces diverses occupations ne prennent guère à l'un et l'autre sexe que quelques heures par semaine. Le reste du temps se passe à dormir, à chanter, à se baigner, à tresser des couronnes de fleurs, de fruits, de pandanus, à s'oindre d'eka- moa, enfin à faire de la musique. C'est une véritable vie contemplative.