Citations de Megan Miranda (56)
Papa ne téléphonait plus. Le téléphone aggravait son impression de perte de repères ; il se sentait trop éloigné de la personne qu'il essayait d'identifier. Même s'il se rappelait à qui correspondait le numéro qu'il avait composé, nous nous évanouissions de sa mémoire dès que nous décrochions. Des voix désincarnées flottant dans l'éther.
(p. 12)
Il y avait certains moments, infimes , où le chagrin s'abattait sur moi sans prévenir. Une peine sournoise, vicieuse qu'on ne voyait pas venir et tout à coup : elle était là. Elle survenait dans les activités les plus simples, les plus terre à terre. Ma mère n'accrocherait jamais de banderoles roses pour moi. Je ne confierai jamais à une invitée, d'un ton de conspiratrice : "Ma mère est folle." Et ma mère ne deviendrait jamais grand-mère.
Elle en était au stade terminal et, pourtant, sa mort nous avait pris au dépourvu. On ne s'y était pas préparés. Sans doute avais-je imaginé qu'elle partirait sur des paroles pleines de sagesse, un conseil de vie exemplaire auquel se raccrocher, une parabole digne d'être racontée à mes enfants. Un ultime enseignement qui n'appartiendrait qu'à moi.
Je m'étais fait avoir.
"La plupart des gens ont besoin de preuves pour croire. Mais, à mon avis, ça marche peut-être dans l'autre sens. Peut-être qu'on commence par croire, que cela nous change et, du coup, ça nous rend capables de percevoir d'autres possibilités."
Corinne était un personnage hors norme. Plus encore depuis sa disparition. Mais ce n'était qu'une gosse de dix-huit ans, à l'étroit dans son corps, persuadée que le monde se plierait à sa volonté. Ça avait dû faire très mal la première fois qu'elle avait pris conscience de son erreur.
- Les gens changent en dix ans, (...)
Sauf que non. "Pas vraiment". Les gens sont comme des poupées russes : différentes versions empilées dans la version la plus récente . Mais elles continuent toutes de vivre à l'intérieur , intactes, simplement invisibles.
Il paraît que l'univers se dirige en permanence vers le chaos. Je veux bien le croire. Des murs s'élèvent, et des murs tombent. Des bâtiments s'écroulent, des gouvernements sombrent, des civilisations s'effondrent. Des étoiles explosent.
Des gens vivent.
Des gens meurent.
Et ainsi de suite.
Tout tombe en morceaux.
Ne croyez pas que je sois pessimiste. Ce sont simplement les faits.
"_Et j'ai aussi du mal à dormir, confie-t-il. A cause du procès. Les avocats voulaient essayer l'hypnose, ils espéraient combler quelques lacunes dans le déroulement des événements de cette nui-là, mais je me demande si c'est une bonne idée. Je ne sais pas si cela améliorera les choses ou au contraire les aggravera.
Je comprends ce qu'il veut dire : les souvenirs qu'a gardé Elliot de cette horrible nuit risquent-ils de le détruire ? Vaudrait-il mieux pour lui ne pas se rappeler ?"
Elle était comme ça : pour elle, l'étiquette de 'belle-soeur' faisait officiellement de moi sa confidente, sans que rien dans notre histoire le justifie. Elle m'avait ignorée pendant tout le lycée et les années suivantes jusqu'à ce qu'elle commence à sortir avec Daniel il y a quatre ans. Brusquement, elle avait décrété que nous serions proches et qu'elle allait tout mettre en oeuvre pour instaurer une familiarité entre nous.
(p. 114-115)
Deux heures que j'étais ici et, déjà, je procrastinais. Il fallait que j'aille voir papa. Que je lui apporte différents papiers, que je l'écoute radoter en boucle. Que je lui demande ce qu'il voulait dire, dans sa lettre, en espérant qu'il s'en souviendrait. Et que je fasse semblant de ne pas me sentir giflée quand il oublierait mon nom.
Peu importait combien de fois j'avais pu vivre cette scène. Ça me laminait toujours.
(p. 33)
"Finalement, je crois qu'il y a un sens à tous ces visages d'enfants disparus collés sur les murs de chez Nolan. Ils entretiennent le souvenir et l'espoir qui vous font tenir le coup."
Les disparues ont une façon particulière de s'immiscer dans nos pensées. On ne peut pas s'empêcher de les reconnaître dans chaque visage croisé. Elles soulignent le caractère fragile et éphémère de notre existence. Un instant nous sommes là, l'instant d'après une simple photo dévisageant les passants dans une vitrine.
C'est une sensation qui s'installe dans notre cage thoracique et nous ronge lentement de l'intérieur. La peur irrationnelle que des gens se volatilisent d'un coup sous nos yeux.
(p. 60)
[Son] père n'était pas le genre d'ivrogne qui, comme mon père, restait assis dans un bar, perdu dans ses pensées. Son whisky, il le descendait chez lui, dans le salon, et au lieu de maugréer contre lui-même, il préférait s'en prendre à son entourage.
(p. 283)
Ici, la pluie avait quelque chose de familier et d'inquiétant à la fois. En ville, elle frappe les fenêtres, crépite dans les rues, inonde les caniveaux, comme si elle empiétait sur la vie des habitants. Elle provoque des embouteillages, rend les halls d'immeubles glissants. A Cooley Ridge, la pluie est une composante du paysage. Comme si elle habitait la région, quand nous ne sommes que des visiteurs de passage.
Ce sont toujours les hommes qui commettent des crimes passionnels. Toujours leurs doigts qui, mus par leur volonté propre, se referment sur le cou des femmes. Toujours leur bras aguerri qui vient s'abattre sur nos fragiles pommettes. Passion. Pulsion. Instinct.
Les femmes font preuve de plus de préméditation. Elles tiennent un compte silencieux des affronts qu'elles subissent, des insultes qu'elles essuient, montent un dossier, se réfugient en elles-mêmes.
(p. 326-327)
Des Corinne, j'en rencontre tous les ans. je les reconnais tout de suite, de l'autre côté de mon bureau. (...)
Je vois les manches longues et je sais ce qu'elles cachent.
Le plateau-repas laissé intact à la cafétéria pendant qu'elle vanne quelqu'un.
Les garçons qu'elle repousse , encore et encore, en espérant quand même qu'ils reviendront. Parce qu'elle ne peut pas les laisser s'approcher trop près. Elle ne peut pas se le permettre.
"Ses yeux s'agrandissent, et je me demande quels souvenirs assaillent sa mémoire. L'escalier, l'ampoule remplacée, l'odeur de la peinture. Le chaos. Et voilà que je les imagine aussi. L'escalier. L'horreur. Comment se remet-on d'une telle abomination ? Quand on découvre la vérité ? Qu'est-ce qui est le pire ? Le fait de savoir ou de ne pas savoir ? Je n'en suis plus très sûr."
"J'ai l'impression qu'un lien nous unit, tous autant que nous sommes dans cette pièce. Nous sommes du genre à chercher des réponses, à vouloir savoir, à exiger des preuves. C'est peut-être aussi vrai de tous les autres, en-dehors de cette salle, à travers le monde."
Rien n'est plus dangereux, plus destructeur, plus nécessaire et plus indispensable à notre survie que les mensonges que nous nous racontons.
- Vous avez failli ne jamais naître, tu sais ? Quand ses parents sont morts dans un accident et qu'elle s'est retrouvée sans aucune famille, elle m'a dit qu'elle refusait de n'avoir qu'un seul enfant. C'était soit aucun, soit plusieurs. Fin de la discussion.