Avant Moi, j'étais un Autre, le Roman Phénomène d'un auteur Toulonnais : Michaël Delaporte
Avant ça, on ne se serait pas plu. Après non plus, je crois. Quand le hasard et la bière nous avaient réunis, nous étions tous les deux dans cet espace-temps où l'on se trouve parfois, dans un entre-deux sentimental où l'on accepte de se laisser guider par les envies et les rencontres, dans une sorte de fatalisme amoureux, guidés par les expériences et les opportunités plus ou moins faciles, souvent glauques, des rencontres sans lendemain qui font tourner la tête quelques minutes avant la douloureuse réalité du réveil à côté d'un ou d'une inconnue. "Un café, euuuh... Machin ?"
Le travail enfin. Comme tous ceux qui ont manqué d'un truc, je m'y étais réfugié parce que là, on m'aimerait, les gens seraient forcés de m'aduler, pas le choix, je serais le meilleur. Le job, c'était devenu ce monstre que tu as laissé rentrer chez toi, que tu veux fuir parfois parce qu'il prend trop de place, mais chez qui tu retournes toujours, parce qu'il t'offre l'adrénaline des succès et que tu peux t'y réfugier pour masquer le vide que tu portes en toi.
On a tous un gros connard qui sommeille en nous..
Être intelligent, c'est savoir utiliser la bonne ressource au bon moment.
Faire avec ce qu'on a, directement autour de soi.
Le feu avait laissé la place au granit. Nous étions unis et solide, mais moins lumineux qu’autrefois. Devant la multitude de nos tâches, nous avions finalement mis de côté ce qui devrait rester premier dans tout projet de vie… Soi-même d’abord, parce qu’avant d’aimer les autres, il faut s’aimer soi, et nous ensuite, parce que le couple constitue le socle de tout ce qui en découle.
Pourtant, elle était là, malgré mes absences, malgré ce foutu temps qui passe, et alors que j'étais devenu une caricature de mari, un ersatz de compagnon et peut-être un demi homme, elle était là
La corde à sauter, l’élastique et la marelle ! Les parties de tennis dans la rue devant la maison avec une ficelle tendue entre le portail et l’arbre d’en face, avec la raquette en plastique noir et la balle en mousse jaune ? Et le Tang ! Putain, le Tang !! Tout ça, tu vois, tout ça, c’est notre enfance, et quelques fois, je la regrette un peu cette belle période, même si c’était pas rose tous les jours, même si on n'avait pas le choix entre mille films et deux-cents cinquante chaînes de télé, même si c’était moins confortable que maintenant. Au moins, on prenait le temps de faire, d’explorer, d’attendre, et parfois même, je sais que ça va te paraître incroyable, mais quelques fois, on s’ennuyait ! Chose inenvisageable maintenant, où la flemme et l’inactivité sont jugées comme des défauts rédhibitoires.
Cette mue qui m’avait conduit à abandonner ma peau d’hyperactif égocentrique était comme ces fardeaux dont on se libère, parfois malgré soi, ce qui nous permet de donner une autre direction ou une autre intensité à sa vie. Pour la première fois, j’avais l’impression de choisir, et non de suivre une route tracée d’avance, et de laquelle je ne pourrai plus m’écarter. Effrayé au départ par une épreuve que je pensais insurmontable, j’avais trouvé dans cette expérience le sens qu’il me manquait jusque-là. Je me rappelai alors les paroles du mec avec un bras en moins…
D'ailleurs, c'est toujours toi qui dis après coup que tu as rencontré un passeur. Si t'en vois un qui se revendique avec ce statut, meffi ! Au mieux c'est un pauvre type qui se la raconte, au pire un gourou
Tout dans ce matin, ressemble à un magazine de déco, et devrait pousser à la sérénité… Le feu crépite dans le poêle, la lueur apaisante des flammes enrobe la pièce d’une douce chaleur, le silence à peine troublé des murmures ménagers enveloppe l'espace, la maison est plutôt bien rangée, pour une fois. Derrière cette volupté apparente pointent pourtant une crainte sourde et une excitation latente. Je suis tellement en éveil que je ne sais plus quelle émotion doit l'emporter.