C’est ainsi que, perdue dans ses pensées, la marquise prit place dans la voiture banalisée qui stationnait en bas de chez elle telle une automate, effectuant le trajet jusqu’à la morgue sans prêter attention à rien, ne s’intéressant pas même à la radio qui, entre deux crachouillis, distillaient sa poésie noire et quotidienne, ne s’inquiétant même pas d’aller jeter un œil au cadavre d’une inconnue avant même d’avoir pu se recueillir devant la dépouille de son défunt mari. Ce qui, sans vouloir jouer les philosophes aux sentences définitives (car là n’est pas le propos : nous narratons, nous narratons), tendrait à prouver que, décidément, toutes ces histoires de flics et de voyous sont bien peu morales…
des tas de patelins comme celui-là...villages rues traversées trop marre de l'autoroute..échappées belles reprendre pied...vérifier que le monde existe encore...au-delà des glissières de sécurité...
n'aura connu l'autoroute qu'en chantier.... demeurée menace vague...moteur pour l'imagination... repérage des tracés possible évoqués dans Ouest-France..... deviner quelles terres expropriées....fermes rasées...coupées en deux...trentaine d'années qu'aura duré l'attente....
Évanouie, la marquise sortie la veille à dix-sept heures, affolée et hautement perplexe, Sofia Aldobrandi (c’est du moins ainsi qu’elle prétendait s’appeler…), assoiffé et l’esprit pire que tourneboulé, Doumé Alfonsi, remballant son flingue dans sa poche parce que convaincu que les spectres ne craignaient pas les balles, et toujours aussi enrhumé le commissaire Lognon, balbutiant, le mouchoir à la main, quelques mots incompréhensibles, tandis que Milan Moneste le faisait entrer dans sa pièce à vivre puis l’invitait à s’asseoir. « Savez-vous, mon cher Lognon, que de tous mes personnages – et dieu sait si, au cours de ces quatre
décennies d’écriture, j’ai pu en créer, des personnages ! –vous êtes le seul que j’aie autorisé à me rendre visite.
vous, lecteur. Chacun l’avait plus ou moins oubliée la mar-
quise. Tellement longtemps qu’il ne lui était rien arrivé de
Alors, à quoi bon la suivre ! Elle était plus ou moins tombée en déshérence, il faut bien l’avouer, à force de jouer la coquette, et ce notamment en multipliant les fausses sorties. Et puis, elle était devenue, ces derniers temps, tellement discrète (certains sont même allés jusqu'à
la qualifier d'insipide), que personne n’aurait cru possible de la retrouver prise dans le tourbillon d’une pareille aventure.
Arbustes nus aux ombres torses. Torves.
Flot aérien des peupliers.
Lettres rouges en éveil.
Bouche grande ouverte, avaler l’air à pleines lampées.
Tout ce qu’il avait pu s’enquiller ! Ah ça ! Pile poil picolo...
De guerre lasse écorcher le renard !
Pas mal !... Pas mal du tout ! Rabelais !...
Tu tiens d’mieux en mieux la marée mon salop !
Kik l’avait dit... Sacrée vieille poche !...
Aube belle.
Douce aube belle de bleu ténu.
Outre sa crainte de devoir ingurgiter un thé trop infusé ou des toasts carbonisés parce que tant bien que mal préparés par elle-même (ses craintes étaient fondées : si longtemps qu’elle n’avait rien fait de ses dix doigts), elle eut l’impression d’un total et irrémédiable effondrement de son univers : son marquis de mari,la tête sous le bras, conservé au frais à la morgue, sa bonniche envolée sans crier gare…
Cette zone commerciale qui maintenant enserrait leur maison. Incessante circulation de la journée. Néons à n’en plus finir la nuit tombée. Un ciel rose, bleu électrique (sick !).
Des choses à noter ce soir. Trois bonnes heures dans ce train. Raconter la soirée Plutôt décrire le joyeux bordel de chez Kik !... Pécuchet rock’n’roll… La formule était bonne. Tel bric-à-brac !... Écrire un inventaire.
Se tenaient là tout penauds, Lognon et Alfonsi, à coup sûr beaucoup plus déroutés que s’ils venaient de retrouver la marquise butée sur le palier de son appartement, lors d’une de ses innombrables sorties sur les coups de dix-sept heures, tout gênés devant ce petit cadavre de bonne femme fluette, dans cette pièce où tout espoir de vie s’était fait la malle depuis longtemps. Ils sont restés là un moment, silencieux et ne sachant pas trop quoi faire de leurs mains, osant à peine croiser le regard de l’autre, passant du corps recroquevillé sous les draps au perroquet empaillé.
pour ça, le délit de fuite… Que tout ça c’était en rapport avec un trafic de drogue… Parce que tout le monde le savait que c’étaient des drogués, les chevelus du moto-club… Mais tout ce qu’elle racontait, la presse, c’était pas le plus important… L’essentiel, c’était le dossier que le commissaire Lognon gardait au frais dans un tiroir de son bureau… Avec le numéro de la plaque… Ce dossier qu’il s’était gardé sous le coude en cas de besoin…