Michel Richard parle de "On pouvait tout lui dire"
Partie 2
Les odieuses deux colonnes : ceux que l'on inviterait seulement à la cérémonie, ceux que l'on recevrait aussi au château, les "fromages et désert". Cette idée même me révulsait. Bons pour la messe, mais recalés aux petits-fours ? Admis au sacrement, mais inaptes au buffet ? Une méthode à la SNCF : les invités de 1re et de 2ème classe. Appliquée à des citoyens, ça s'appelait de l'apartheid. Un carton de plus ou de moins dans l'enveloppe de faire-part, et c'est à cette ségrégation convenue que l'on procédait benoîtement.
Le salon, c'était une coutume bien étrange, une sorte d'exhibition à la chinoise où la plupart des auteurs, tous volontaires, bizarrement, s'alignaient derrière une table en coupables d'avoir pondu un livre dont personne ne voulait. Indifférent, le public défilait devant eux, à distance respectable, de peur, en prenant en main un ouvrage, de se retrouver prisonnier de l'auteur, proie trop rare pour être vite lâchée, de devoir céder à l'achat, pour en finir ou par compassion.
La personnalité des membres du jury importait souvent plus, pour la notoriété d'un prix, que la qualité de l'oeuvre couronnée. P. 59
On a toujours besoin d'un ennemi, pourtant il serait insupportable d'être seul responsable de sa vie, et de ce qu'on en fait. Il faut bien que quelqu'un d'autre - une mère, un mari, un patron - soir pour quelque chose dans nos malheurs, renoncements, frustrations, échecs, inachèvements. Il faut bien que quelqu'un d'autre porte nos péchés, trop lourds à avouer. Un parent, c'est bien pour ça : ça permet de remonter à loin dans la persécution douce, ou dans la maltraitance perverse, ou dans autoritarisme castrateur, ou dans la gentillesse infantilisante; tous les psychiatres vous le diront.
( p 101)
Les odieuses deux colonnes : ceux que l'on inviterait seulement à la cérémonie, ceux que l'on recevrait aussi au château, les "fromage et dessert". Cette idée même me révulsait. Bons pour la messe, mais recalés aux petits-fours ? Admis au sacrement, mais inaptes au buffet ? Une méthode à la SNCF : les invités de 1re classe et de 2e classe. Appliquée à des citoyens, ça s'appelait de l'apartheid.
Qui pouvait comprendre que je m'obstinasse à refuser une bonne affaire ? Les bonnes affaires, même ruineuses, ne se refusent pas, sauf par les imbéciles qui sont les seuls à penser que les bonnes affaires au-dessus de leurs moyens ruinent aussi sûrement que les mauvaises affaires hors de prix. P. 41-42
C'est alors que je m'étais sentie dans un drôle d'état. Pal mal, pas triste, pas malheureuse, revigorée au contraire, reconnectée à la vie, aux envies, mais lessivée, aussi, et comme meurtrie d'avoir reçu tant de coups, battue et courbatue.
Même le plaisir, le mien, avait été secondaire, à la jouissance près de m'afficher puissante, crainte et même si besoin était, toxique. La grande école m’avait appris ça, qui ne s'oubliait pas.
(p 95)
Je me doutais que la médecine n'est pas une science, que tout s'y discute, les protocoles, les traitements, les doses. Que rien ne serait carré, sans hésitation. Que tout serait plus ou moins aléatoire, du genre "on fait ça et on verra" "on tente ça et on verra"... et passeraient les jours à attendre voir... (p.13)
Une noble bataille perdue vaut-elle mieux qu'un combat d'égouts dont on peut réchapper ?