"Né de pratiques spontanées et d'initiatives individuelles courageuses, ne se contente-t-on pas, trop souvent, de définir le mutualisme par ces quelques valeurs universelles que sont : la solidarité, la démocratie, la primauté de l'homme, la proximité, la responsabilité, la transparence... Mais, le mutualisme ne se réduit pas à la mise en œuvre de la solidarité et à la reconnaissance de valeurs universelles.
Nous avons, déjà, eu l'occasion de souligner que le mutualisme est une doctrine économique exigeante qui implique un choix, une adhésion, une volonté de participer à une conception de la société où l'individu peut y trouver un lieu de sa promotion personnelle. Le mutualiste est «un militant». Ce mutualisme exigeant et vertueux dont on vient de rappeler quelques spécificités, répond-il aux besoins et aspirations de notre société actuelle.
Une société des nouvelles technologies où l'individualisme l'emporte, où l'on assiste à l'étiolement du politique, à l'anémie du syndicalisme, à la montée du consumérisme et à la primauté de l'argent, peut-on ne plus respecter tous les principes constitutifs du mutualisme et se contenter de certaines de ses applications ? Monsieur Daniel Havis44 se plait à souligner «qu'il faut juger non l'instrument, mais les modalités de sa mise en œuvre».
Il s'agit de poser la question du mode de gouvernance et du contrôle. Dans les mutuelles d'assurances peut-on s'affranchir totalement de la problématique de la propriété ? Les tensions et les conflits que l'on observe dans les entreprises de forme capitalistique, au niveau de la gouvernance, entre propriétaires et managers ne risquent-elles pas de se trouver amplifier chez les mutuelles qui se doteraient d'un véhicule coté par la présence de deux types de «propriétaires» dont les modalités de rémunération pourront différer avec d'un côté : «des propriétaires/actionnaires» et de l'autre côté, «des propriétaires/sociétaires» ?
La juxtaposition de deux types d'intérêts, ceux du marché financier et ceux des sociétaires/adhérents sont-ils conciliables ? Dans l'affirmatif, quelles précautions sont nécessaires pour que le caractère mutualiste de la structure ayant fait ce choix ne soit pas marginalisé ? Enfin, progressivement, le militant, le sociétaire s'effacerait derrière le client ? La décision de se doter d'un véhicule coté au sein d'un groupe mutualiste n'est pas neutre. Il génère un modèle à deux têtes où s'opposent actionnaires et sociétaires, ces derniers étant assureurs et assurés et parfois eux-mêmes actionnaires. N'est-ce pas là, une façon de s'exposer à une perte d'identité ?"
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