Citations de Michèle Astrud (14)
Pour qui sont-ils venus ? L’évidence me frappe au visage : ils me cherchent, bien sûr, ils sont là pour moi, ils tournent autour des autobus, sautent, agitent les bras, essayent d’apercevoir et de reconnaître un visage à travers les verres fumés, mais ils se trompent de direction, ce n’est pas par là qu’il faut chercher ; j’ai envie de leur crier : hé, les gars, je suis ici, derrière vous ; tout en haut, toujours en haut, je vous domine, venez à moi, approchez…
Et quand ils fermeront les yeux, dans la nuit noire et le silence, la solitude, juste avant de s'endormir, c'est cette silhouette se découpant dans les nuages qui les accompagnera, jusque dans leurs rêves.
Je ne voulais pas survivre. C'était bien le cadet de mes soucis. Replié, tassé sur une chaise, la tête baissée, j'attendais juste quelques mots de plus, une seule phrase : "Vous n'avez rien à ajouter ?" pour tout cracher, tout avouer.
Expliquez-nous, faites-nous rêver , grandir.
Je ne comprends pas, pourquoi ce fait les gêne à ce point, que je vole, que je puisse m’échapper. Que je sois enfin libérée, différente. Comme s’ils avaient mal, comme si mon bonheur les blessait…
Maintenant je suis seule, je domine le monde et sa vallée de larmes, une funambule sans fil, une insomniaque sans fatigue. Je flotte dans la douceur de la nuit, je vogue, je tangue, je m’élance, je découvre d’étranges sensations, un souffle humide frissonne sur ma peau, l’air tiède me porte ; identique à de l’eau salée. Je ne veux plus redescendre, toujours rester là-haut.
J'avais oublié combien nous étions libres. Et je ne savais pas que j'étais aussi beau garçon. Je resplendis devant la caméra. Littéralement. Séduisant et insaisissable, tel un ange déchu. C'est dommage, j'en ai si peu profité. Elles se sont enfuies si vite, cette jeunesse, cette insouciance, ces courtes années de vagabondage.
Elle tremblait , ses yeux hagards avaient perdu leur éclat. Elle ne parlait pas, murmurait quelques mots incompréhensibles. Nous arrivions trop tard.
Il pouvait débarquer d'une minute à l'autre. N'importe quel jour, à n'importe quelle heure, nous l'attendions; les deux femmes n'étaient pas inquiètes, elles avaient l'habitude, mais je finissais par m’exaspérer.
... mais il faut toujours prévoir le pire comme le meilleur. Quand les choses sont énoncées, elles n'ont pas envie de se répéter. On dit toujours que l'histoire ne bégaye pas. Formuler le malheur, c'est tenter de s'en protéger, un peu.
Ce voyage, cette odyssée extraordinaire, ce cadeau merveilleux ; pourquoi moi? Qu'est-ce que j'ai fait pour le mériter? Planer dans le ciel, être libérée, oublier la pesanteur, cette facilité, si précieuse, si fragile.
C'était un bon élève. Les meilleures notes en mathématique et en physique, c'est lui qui les raflait. Toujours derrière, je cravachais sans réussir à l'égaler.
Il haussait les épaules et répétait:
- Aucune importance, tu te fatigues pour rien. Je te laisserai bientôt ma place, je ne veux pas continuer. Pas comme ça. Pas ici.
Sa place? Quelle place?
- Comment peut-on forcer quelqu'un à avaler de la nourriture? Allaient-ils m'attacher? Me gaver avec un entonnoir comme certains animaux? Non, c'était beaucoup plus simple que ça; il suffisait de me poser une sonde naseau-gastrique et une solution incolore s'égouttait directement dans mon estomac. ça pouvait tout aussi bien être du poison, de l'éther ou de l'essence. Du Kérosène, pourquoi pas? Comme pour les avions. Là, j'allais vraiment déciller, plein gaz, direct vers les étoiles.
- Je ne pourrai jamais te suivre papa. Je suis née, tu existais déjà. Bien sûr, c'est une évidence, puisque tu es mon père. Je viens à peine de m'en rendre compte. Qu'elle imbécile je suis !