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Citation de Charybde2


Chaque matin, elle disparaît quelque part. Elle rentre bleuie de froid, des cernes sous les yeux. Même si elle rapporte un paquet de griffes et de cous de poulet, même si elle a réussi ce miracle-là, elle a l’air perdu et mauvais : elle nous a apporté à becqueter, qu’on s’en mette jusque-là, qu’est-ce qu’on sait, nous, de ce que ça veut dire faire la queue de cinq heures du matin à… regarde, il est presque midi ! Qu’ils aillent tous au diable, qu’est-ce qu’y veulent qu’on mange ? Ça non, ça non… regarde pour quoi j’ai attendu à me geler les os ! Et maman déballe sur la toile cirée un petit tas humide de pattes de poulet, cadavéreuses, aux griffes crispées, coupées juste sous le manchon, car le manchon part avec les cuisses, à l’exportation… Les gens se battent pour ces morceaux pleins d’écailles qui ressemblent à des reptiles. Une autre fois, elle pose sur la table un gros morceau de « jambon ». Personne ne sait de quoi c’est fait. Ça tremble comme de la gelée. On y trouve comme du chiffon. Dans la bouche, ça fond en cartilages et en quelque chose de farineux. On ne peut déterminer si l’odeur d’essence provient du camion qui l’a transporté ou s’il est composé de je ne sais quels produits artificiels. « Qu’ils aillent se faire voir ! » Maman ne se retient plus. Elle en a assez. Elle ne parvient plus à faire face. Et ce n’est pas de morfler, de se bousiller les jambes à faire la queue ni de rentrer avec des glaçons dans les sourcils, non, c’est de ne plus avoir quoi nous donner à manger alors que c’est toute sa raison d’être depuis qu’elle est en âge de comprendre. Et ça la rend folle.
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