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Citation de Cielvariable


Tout cela occupa l’esprit du seigneur de Vollore quelque temps ; jusqu’à ce que son œil accroche une silhouette fine et gracieuse qui, de l’autre côté de la fenêtre, dans la cour, distribuait au venant des graisses aux volailles. Un pincement aigu s’immisça dans le creux de ses reins.

– Qui est-ce ? demanda-t-il à brûle-pourpoint au métayer, coupant une phrase emplie de chiffres qu’il ne retint pas.

Armand Leterrier suivit du regard celui de son maître et, fier de son intérêt soudain, répondit sans malice :

– Mon aînée, Isabeau.

– Pardieu mon ami, s’exclama François dont la prunelle s’orna d’un éclair sauvage, elle est bien jolie et délicate. Comment se fait-il que je ne l’aie point vue auparavant ?

– Vous l’avez vue sans doute, messire, mais elle a bigrement changé depuis votre dernière visite. À quinze ans, elle est tout le portrait de sa défunte mère et se comporte comme une vraie dame. Mais elle ne sera bientôt plus de ma maisonnée, puisque je la marie vendredi en quinze au Benoît, le fils du coustelleur 3 de la Grimardie.

– Tu la maries, dis-tu. Sans mon autorisation ?...

Le ton s’était fait sec. Armand se mit à bafouiller en tordant le bonnet qu’il avait posé sur ses genoux au début de l’entretien.

– Que nenni, messire, que nenni ! C’est votre défunt père qui avait béni les fiançailles de ces jouvenceaux voici deux ans et fixé la date des épousailles. J’ignorais qu’il me faudrait votre consentement de surcroît.

– Celui de mon père suffit, s’apaisa François sans pouvoir se détourner des courbes douces d’Isabeau que soulignait une robe d’un sobre vert amande. Mais tu ne voudrais point déplaire à ton seigneur, métayer ?

– Non pour sûr, messire ! Nous ne manquons de rien sur vos terres et je ne saurais me plaindre. Fort au contraire, vous louer me siérait bien, s’empressa Armand, trop heureux d’avoir évité le courroux de Chazeron.

À ces mots, le seigneur de Vollore consentit à détacher son regard de la croisée et le planta dans celui du pauvre hère soudain moins rassuré. Il détacha de sa ceinture une bourse de cuir et fit choir deux pièces d’argent sur la table devant laquelle ils conversaient. Armand roula des yeux ronds tandis qu’elles se stabilisaient entre eux dans un tintement prometteur.

– Tu en feras usage pour ces tourtereaux, mon ami. Prends ! Allons ! Prends, insista François l’œil vicieux.

Armand hésita un instant, puis, incapable de résister, s’empara des écus et s’empourpra.

– Votre Seigneurie est bien bonne pour ces enfants.

– C’est pourquoi je veux être remercié par la gentillesse de ta fille, métayer ! Je l’attendrai au château de Montguerlhe sitôt la cérémonie achevée. J’entends pour ce prix qu’elle soit encore pucelle, cela va sans dire, acheva François, cynique, nullement ému par le visage décomposé d’Armand qui retournait les pièces entre ses doigts comme si elles le brûlaient soudain.

– Oubliez cette enfant, seigneur François, ou de grands malheurs s’abattront sur vos terres, chuchota derrière lui une voix usée.

François de Chazeron se retourna, furieux, et avisa une vieille femme qui, se fondant au noir de l’âtre dans sesvêtements de veuve, n’avait pas attiré son attention lorsqu’il avait pénétré dans la cuisine.

– Qui es-tu pour oser t’élever contre les désirs de ton maître ? gronda François sans aucun respect pour les mains ridées croisées sur un tricot inachevé.

– C’est ma belle-mère, messire, intervint Armand comme pour l’excuser. Il ne faut pas s’inquiéter de ses dires...

– Tais-toi, fils ! Oublies-tu ce que tu me dois ?

L’espace d’une seconde la voix s’était faite grave. Armand tremblait, autant du pouvoir de l’aïeule que du regard noir de son seigneur.

– Je suis Amélie Pigerolles, fille de la Turleteuche, dite la Turleteuche moi-même, prononça l’aïeule comme un défi.

François de Chazeron tiqua. La Turleteuche, cette sorcière que des notables avaient assassinée en 1464, quinze ans avant sa naissance. Si le coupable avait été puni d’un pèlerinage à Saint-Claude auquel il avait apporté un cierge de quatre livres, la malédiction de la malheureuse l’avait rattrapé quelques semaines plus tard. Il était mort le visage boursouflé dans d’atroces souffrances. Plus d’une fois dans son enfance François en avait entendu le récit. Il haïssait les sorcières. Il haïssait ceux qui s’opposaient à lui. Il s’obligea pourtant à radoucir son ton.
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