Cet enchaînement de livres m'apparaissait comme traversé par le souffle d'un magicien qui se tenait là en suspens, appliquant une loi surnaturelle. Et plus je m'immergeais dans le sens profond de cette bibliothèque, plus cette impression se renforçait et se confirmait. de l'ordonnancement des livres émergeait sous une forme toujours plus claire une série d'images, de motifs déterminés et d'idées originelles, et derrière cette complexité je voyais finalement surgir clairement la figure dominante de l'homme qui avait construit cette bibliothèque. - Ernst Cassirer à propos de la bibliothèque d'Aby Warburg (p. 51)
La peur est sans doute de toutes nos émotions la plus délétère, nous empêchant d'imaginer ce que nous ne voyons plus et qui se tient pourtant là, sous nos yeux, à l'échelle de nos existences oppressées par le souci d'argent.
Symptôme de ruines
extrait 3
À la radio pour la première fois
l’empereur du Japon donne de la voix
c’est la capitulation en radiodiffusion.
Tout le monde écoute
– dans le silence d’Hiroshima
Une grenouille maigre étourdie
tombe mollement d’un hameçon
sursaute à peine et sans lutte finit.
Des enfants la ramassent
la font frire
et l’enveloppent dans un papier
à l’effigie de l’empereur Shôwa.
Ils mangent en silence devant le ciel bleu
le ciel d’août sans demain
sans destin
le ciel du grand champignon : le pikadon
les pétéchies
et la maladie des rayons
XI LA NEIGE
Réveillez-vous ! Tout est blanc !
Les ruches sont pleines de neige.
Nulle trace, tout est possible encore
la dictature du temps
de l’histoire
rompue comme les rails des chemins de fer.
Plus rien ne passe et tout se tait.
Réveillez-vous ! Un folio attend
votre réveil éblouissant.
Pour vous seul sans limite
le blanc sans fin à couvrir.
Réveillez-vous ! le jour point comme un stylet.
Je voulais parler de la liberté, j'ai ouvert une collection de timbres et retrouvé la ruine d'une famille. Étrange réponse des mots et des images à la question de l'affranchissement. La liberté a toujours un prix fort : la solitude, la pauvreté, l'exil. Il faut payer quelque chose pour avoir sa prairie sèche, sa 'dry meadow', son jardin fou et divers, où l'on se sent chez soi, foulant du pied les désirs relâchés qui vont et viennent, grouillent en lignes serpentines.
Rêve d’oiseaux
Je sais seulement qu’il y a parfois des phrases qui restent, qui résistent, qui se déforment en résonnant, qui deviennent plus vastes, plus lointaines, plus anciennes, plus proches, plus inédites, des phrases qui dérivent, suscitant des fleuves, des lacs, des mers, des océans, des sources. Il y a des phrases qui vous emportent dans le rêve, des phrases qui enclenchent la rêverie et mettent en état de divagation, des phrases qui jouissent.
Voici des rêves…
Voici des rêves, des grisailles, voici des voix, des dialogues et des morts. Voici des photographies, des images décolorées, des lumières passées, des fossiles ramenés des temps profonds, des corps évanouis, des cendres portés par les vents et les eaux. Ainsi je veux partir. Voici des testaments, des témoins, des vœux. Voici demain. Voici hier. (...)Voici les photogéniques, les images sorties des cartons, données, trouvées, soulevées, déchiffrées. Voici les philologiques, les bribes, les fragments, les mots égarés sur une page, mutilés par un agrafe, les brouillon les livres-brouillards et les notes de chevet. Voici l’infralyrique, les hantises documents. Voici les rapports, la littérature grise, les documents, les actes, les traces, les données, les fantômes cartonnés, les articles de dictionnaire, les faits. Voici les phonogéniques, les voix tirées des boîtes, les bandes magnétiques, l’audiovisuel des spectres, les brouillages radiophoniques, les voix perçues, évaporées, les échos et les simulacres. Voici les tragiques, les météorologiques, les thucydides et les insulaires.
Sous les astres errants du ciel
sans fin s’agitent et se transforment
tous les éléments de la matière.
Rien à faire
la nature des choses est irrégulière.
Rien à faire
la vérité est toujours en ruines.
Rien à faire
les souffrances endurées
ne rendent pas plus réel le temps passé. […]
II. Les enveloppes
2001
Extrait 2
Je quitte le clavier, je m’achète un beau carnet et un beau crayon, en vain. Rien ne vient, même s’il est bien là avec moi, plein de sollicitude et d’empathie. Je suis compliquée et ambitieuse, Jim est simple et calme comme un arbre, une fleur, une plante. Mon cœur se déchire à la première passion quand le sien est un asile pour toutes choses. Je me perds dans les mots, quand il lui suffit d’un bref regard silencieux pour s’orienter dans le monde. Un sens lui fait défaut, celui qui lui donnerait prise sur l’amour ou la gloire. Je dois m’en amputer. Il veut n’être rien, je veux être tout. Il est tout, je ne suis rien. Il est sans pourquoi, je ne cesse de me poser des questions, idiote derrière ma loupe, spectatrice ignorante et honteuse des derniers mois de sa vie. Il est là, près d’un talus ou le nez au vent. C’est l’habitant du jardin, une sorte d’ermite ornemental, le bossu dans le parc, avec quelque chose d’un clochard ou d’un ange qui aurait refermé ses ailes. Il aime la nature sans la penser, il l’aime comme il regarde une fleur. Il l’aime sans savoir ce qu’aimer signifie, il est dans l’innocence de ne pas penser, mais d’être spontanément à l’écoute par le dedans, en acceptant que toute chose soit limitée. Mais de tout cela suis-je vraiment sûre ? En réalité, je n’en sais rien.
Il me faut donc recommencer, repartir du début.
Le rêve est l’espace possible…
Le rêve est l’espace possible d’un dialogue des morts, une ronde des spectres, un temps insulaire. Son argument est infralyrique, rythmes de l’en-dessous, chants comme courant, voix déferlantes » (On pourrait dire aussi voix affaiblies comme Eric Villeneuve qui me semble tant dans le champ de l’infralyrique, si toutefois je comprends bien cette notion). « Le rêveur envisage et dévisage, pas d’échappées lyriques ni fuites, seulement des déplacements infimes entre le corps et son ombre, nos corps et les ombres. L’infralyrique est une vibration lumineuse qui s’amplifie la nuit, un frôlement morphologique entre deux images, une perfection de hasard, la photogénie de l’impondérable.
…