Certaines de ses amis, même les plus sincères, qui étaient contentes de la voir épanouie auprès d'un homme capable d'un chevaleresque dont on entendait plus parler qu'au passé, la félicitaient sans oublier de ponctuer leurs vœux d'un « Dommage qu'il ne soit pas marocain ! » , « Il lui manque seulement d'être musulman pour être parfait », ou encore « Mais, acceptera-t-il de se convertir... pour de vrai ? » Ces propos étaient parfois assortis d'un geste de la main imitant le mouvement des ciseaux, comme pour faire allusion à la circoncision, rituel par lequel un individu faisait son entrée dans la Oumma, signe ultime de son appartenance et de son allégeance à celle-ci en tant que membre parfaitement viril et apte à la reproduction selon les règles de la foi.
Leur vie commune était arrivé à ce stade de maturité d'une relation amoureuse faite de tendresse, de petites attentions, de compréhension, et d'une patience à toute épreuve. Dans son entourage, les gens avaient commencé à parier sur le délai qui mettrait fin à cette idylle entre deux mondes, deux cultures, deux modes de vie et de pensée, mais depuis quelques années, tous avaient pu les féliciter pour la force de leur amour, et la solidité de leur couple, étonnés qu'ils étaient de toujours les voir marcher dans la rue, main dans la main, et les yeux toujours remplis de mansuétude autant que d'amour l'un pour l'autre.
[P]lus le temps passait, plus il leur devenait difficile de cacher leur relation amoureuse, et il se trouvait assez régulièrement une âme charitable pour lui rapporter avec une délectation à peine voilée ce qui se racontait dans son dos, comme ce que cet ex-époux d'une amie avait dit d'elle avec grand mépris en la voyant au bras de son amant, qu'on avait pourtant pris la précaution incontournable de lui présenter comme son mari :
— Bof ! Il n'y a que ces impies de gwer pour accepter d'épouser une femme divorcée avec enfants ! Ah là ! Aucune chance avec un marocain pour une « deuxième main » !