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Citation de MegGomar


Kim Jiyoung est entrée à l’école primaire. C’était une grande école où
elle pouvait se rendre en vingt minutes, cheminant par plusieurs ruelles.
Pour chaque année, il y avait de onze à quinze classes, avec une
cinquantaine d’élèves par classe. Ils étaient si nombreux que, avant la
rentrée de Kim Jiyoung, les classes des plus petits furent divisées en
classe du matin et classe de l’après-midi.
Pour Kim Jiyoung qui n’avait pas connu la maternelle, l’école primaire
fut, pour ainsi dire, sa première expérience de vie sociale. Elle s’en sortit
plutôt bien. La période d’adaptation passée, la mère de Kim Jiyoung la
confia à la garde de sa grande sœur qui fréquentait la même école. Tous
les matins, sa sœur l’aidait à préparer ses manuels scolaires et ses cahiers
selon l’emploi du temps du jour et son carnet de correspondance. Elle
mettait, dans sa grosse trousse au motif de princesse, quatre crayons à
mine, ni trop pointus ni trop usés, avec une gomme. Les jours où elle
avait besoin d’une fourniture particulière, sa mère donnait de l’argent à
sa grande sœur pour qu’elle lui achète le nécessaire dans la papeterie en
face de l’école. Kim Jiyoung, sans se perdre sur le chemin ni varier de
route, allait et venait de l’école à la maison sans incident. Elle restait sage
sur sa chaise tout le long des cours et ne fit jamais pipi dans sa culotte.
Elle recopiait correctement dans son carnet de correspondance les mots
inscrits par la maîtresse au tableau noir. Elle avait assez souvent 100 sur
100 à ses dictées.
La première difficulté qu’elle rencontra à l’école fut les blagues
méchantes du voisin de table, difficulté que connaissaient de nombreuses
petites filles de son âge. Pour Kim Jiyoung, toutefois, il ne s’était pas agi
de simples blagues, mais de violence, de méchanceté. Elle en souffrait
beaucoup mais n’avait d’autre recours que de s’en plaindre à sa grande
sœur ou à sa mère. Lesquelles ne pouvaient rien pour elle. Sa sœur disait
que les garçons étaient indécrottablement puérils, que l’on n’y pouvait
rien, qu’elle ferait mieux de les ignorer. Quant à sa mère, elle lui disait
qu’au lieu d’en faire toute une histoire elle devrait comprendre que le
garçon cherchait simplement à être ami avec elle.
Son voisin de table a commencé par bousculer Kim Jiyoung. En
s’asseyant, en se mettant en rang par deux, en prenant son cartable,
chaque fois il lui donnait un coup d’épaule. Quand il la croisait, il
s’approchait exprès d’elle et la tapait au passage sur le bras. Il empruntait
sa gomme, son crayon ou sa règle et ne les rendait pas tout de suite.
Quand elle réclamait ses affaires, il les jetait au loin ou posait ses fesses
dessus, ou parfois s’entêtait à dire qu’il ne les avait pas prises. Alors,
comme elle essayait de récupérer ses affaires pendant le cours, il leur
arrivait d’être punis tous les deux. À partir du moment où Kim Jiyoung a
cessé de lui prêter quoi que ce soit, il s’est mis à se moquer d’elle, de ses
habits, de ses paroles maladroites. Il s’est aussi mis à cacher n’importe où
son cartable ou son sac à chaussons pour qu’elle panique en les
cherchant partout.
Un jour, au début de l’été, pendant le cours, Kim Jiyoung, gênée par
ses pieds qui transpiraient, avait ôté ses chaussons. D’un coup, poussant
sa jambe sous son pupitre, son voisin fit voler l’un des chaussons qui fila
dans l’allée et glissa jusqu’au bureau de la maîtresse. Toute la classe se
transforma aussitôt en mer d’hilarité. La maîtresse, visage cramoisi,
cria en tapant sur son bureau :
— À qui est ce chausson ?
Kim Jiyoung n’osait pas répondre. Elle avait peur. Bien que le
chausson fût le sien, elle attendait que son voisin se dénonce. Mais le
voisin, sans doute tout aussi apeuré, restait tête basse, bouche cousue.
— Vous ne répondez pas ? Vous voulez que je contrôle vos
chaussons ?
À voix basse, Kim Jiyoung murmura à son voisin en le poussant du
coude :
— C’est toi qui l’as lancé.
À quoi il répondit baissant encore plus la tête :
— Mais c’est pas mon chausson.
La maîtresse frappa une nouvelle fois sur son bureau. Kim Jiyoung
n’avait plus le choix, elle leva le bras. Sommée de venir jusqu’au bureau
de l’institutrice, elle se fit sermonner devant toute la classe. Comme elle
n’avait pas répondu sur-le-champ à la question « À qui est ce
chausson ? », elle devenait en un instant une petite fille lâche et qui volait
du temps d’étude à ses camarades, menteuse et voleuse à la fois. Kim
Jiyoung était couverte de pleurs et de morve, dans un état où elle se
trouvait incapable de donner plus d’excuses ou d’explications. À ce
moment, une petite voix se fit entendre :
— Ce n’est pas Kim Jiyoung la coupable.
C’était la voix d’une fille du dernier rang, de l’autre côté de l’allée des
pupitres.
— C’est son chausson à elle, mais ce n’est pas elle qui l’a lancé. J’ai
tout vu.
Embarrassée, la maîtresse interrogea :
— Qu’est-ce que tu racontes ? Si ce n’est pas elle, qui d’autre ?
Sans oser le nommer, la fille ne faisait que fixer la nuque du coupable.
Le regard de la maîtresse ainsi que ceux des autres élèves convergèrent
au même endroit. Le garçon finit par avouer. La maîtresse le disputa
sévèrement, le visage deux fois plus rouge, d’une voix à peu près deux
fois plus forte et à peu près deux fois plus longtemps que pour les
réprimandes à Kim Jiyoung.
— Toi, ça fait un moment que tu embêtes Kim Jiyoung. J’ai tout vu
depuis le début. Ce soir, tu vas noter tout ce que tu as fait de mal à Kim
Jiyoung, tout depuis le début, sans rien oublier. Ne t’avise pas d’omettre
quoi que ce soit car je sais tout. Tu le montreras à ta maman et tu me
rapporteras ton carnet de correspondance demain avec sa signature.
À la fin de la journée, le voisin partit, épaules basses, marmonnant
qu’il allait se faire massacrer par sa maman. Quant à la maîtresse, elle
avait demandé à Kim Jiyoung de rester dans la salle après la classe.
Kim Jiyoung était tendue, elle se demandait ce qu’elle avait fait de mal.
Chose inattendue, dès que la maîtresse se fut assise devant Kim Jiyoung,
elle s’excusa. Elle dit qu’elle était désolée d’avoir commencé par
l’admonester avant même de saisir ce qui s’était passé, que naturellement
elle avait cru que la fautive était la propriétaire du chausson, que ce n’était
pas assez réfléchi de sa part, que désormais elle ferait attention. Elle
s’expliqua posément, point par point, et promit que cela ne se
reproduirait pas. La tension de Kim Jiyoung fondait au fur et à mesure,
laissant place à une violente crise de larmes. La maîtresse lui demanda si
elle avait autre chose à ajouter ou des questions et Kim Jiyoung,
difficilement, tâchant de ravaler ses sanglots, répondit en tremblant :
— Mon voisin… bou-ou-ou… changez-moi de voisin… Et puis…
bou-ou-ou… plus jamais… bou-bou-ou-ou… je serai à côté de lui…
Bou-ou-ou… s’il vous plaît…
La maîtresse tapota gentiment l’épaule de Kim Jiyoung.
— Mais tu sais, Jiyoung, moi, je l’avais remarqué auparavant, ton
voisin, tu n’as pas compris, toi, mais il t’aime.
Kim Jiyoung fut à ce point abasourdie que ses larmes s’arrêtèrent net.
— Il ne m’aime pas. Vous avez dit que vous saviez tout ce qu’il m’avait
fait comme méchancetés.
La maîtresse sourit.
— Les garçons sont comme ça. Ils font exprès d’être méchants avec
les filles qu’ils aiment. Et ils les embêtent aussi. Je vais lui parler, pour
qu’il comprenne. Plutôt que de changer de place en restant sur ce
malentendu, moi j’aimerais que vous profitiez de l’occasion pour devenir
de vrais bons amis.
Quoi, mon voisin m’aime ? Être méchant, c’est une preuve d’amour ?
Kim Jiyoung s’est sentie désorientée. Elle a repensé à tout ce qui s’était
passé, mais sans parvenir à comprendre ce que lui avait dit la maîtresse. Si
on aime quelqu’un, alors il faut être encore plus gentil avec cette
personne, encore plus aimable. Que ce soit pour un ami, sa famille, un
chien ou un chat à la maison, c’est ça qu’il faut faire, pas l’inverse. Et cela
Kim Jiyoung le savait, du haut de ses huit ans. Il lui avait déjà rendu la vie
à l’école assez difficile. Elle avait subi assez d’injustices, et maintenant elle
était la mauvaise fille qui ne comprenait pas son ami ? Kim Jiyoung
secoua la tête.
— Non, je ne veux pas. Changez-moi de voisin.
Le lendemain, la maîtresse réorganisa les tables de la classe. Kim
Jiyoung eut un nouveau voisin, un garçon qui, du fait de sa grande taille,
était toujours assis seul au dernier rang. Et les deux enfants ne se
disputèrent jamais.
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