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EAN : 9782378910617
216 pages
Editions Nil (02/01/2020)
3.95/5   676 notes
Résumé :
Kim Jiyoung est une femme ordinaire, affublée d'un prénom commun - le plus donné en Corée du Sud en 1982, l'année de sa naissance. Elle vit à Séoul avec son mari, de trois ans son aîné, et leur petite fille. Elle a un travail qu'elle aime mais qu'il lui faut quitter pour élever son enfant. Et puis, un jour, elle commence à parler avec la voix d'autres femmes. Que peut-il bien lui être arrivé ?

En six parties, qui correspondent à autant de périodes de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (194) Voir plus Ajouter une critique
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Kim Jiyoung est une jeune femme coréenne d'aujourd'hui. Contrairement à sa mère et à ses tantes qui durent quitter tôt l'école et accepter des emplois subalternes pour financer les études de leurs frères, rien ne l'a empêchée d'obtenir le diplôme de son choix et de décider de son orientation professionnelle. Mais, après une brève expérience dans une agence évènementielle, la naissance de sa petite fille peu après son mariage la contraint, bien malgré elle, à abandonner toute ambition personnelle pour endosser le rôle de mère au foyer.


Partant de l'expérience vécue par les femmes de la génération précédente, évoquant les coutumes familiales mais aussi la manière dont l'école et l'éducation enracinent la notion de supériorité masculine dès le plus jeune âge, puis développant le vécu de Kim Jiyoung lors de ses études, de son début de vie professionnelle, et enfin, lors de son mariage et de sa grossesse, l'auteur nous livre un spectaculaire instantané sur la situation des femmes en Corée du Sud : même si des lois en faveur de l'égalité hommes-femmes ont été promulguées ces dernières décennies, même si des progrès se remarquent ne serait-ce qu'en ce qui concerne l'accès des filles à l'enseignement supérieur, la société en général y reste marquée par les traditions patriarcales qui ont durablement façonné les mentalités. Dans les faits, les Coréennes rencontrent de nombreux obstacles lorsqu'elles envisagent de faire carrière : tandis qu'il reste impossible de concilier maternité et vie professionnelle, les discriminations quotidiennes à leur encontre, mais aussi leurs propres comportements, depuis si longtemps conditionnés, les coincent sous un épais plafond de verre.


Le style est efficace et lapidaire, le ton toujours factuel et les arguments confondants dans ce constat accablant et sans appel qui, on l'espère au vu du succès fracassant de ce livre en Corée, pourra peut-être contribuer à la cause des femmes dans ce pays, mais aussi ailleurs, les questionnements posés étant loin d'avoir trouvé toutes leurs réponses dans nos sociétés.


Plongée passionnante au coeur de la société coréenne, réflexion claire et cinglante sur la condition féminine et les inégalités hommes-femmes, ce livre par ailleurs très agréable à lire est à mettre entre toutes les mains.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Nous sommes Kim
*
Considéré comme un phénomène littéraire dans son pays d'origine, la Corée du sud, ce roman propose de nous éclairer sur la condition féminine.
Effectivement, l'auteure nous dresse un portrait peu reluisant de ses compatriotes masculins. Et dévoile - enfin - ce que la femme coréenne subit tout au long de sa vie.
Construit en 6 chapitres (périodes-clés) d'une épouse , qui, arrivée à la trentaine , se met à se prendre pour d'autres femmes, d'autres voix. Schizophrénie? Ras le bol? Dépression? Volontaire pour choquer son entourage? Voilà ce que nous propose l'auteure.
Retracer son parcours de sa naissance jusqu'à la parentalité.
*
De manière simple, directe, sans fioritures, mais très limpide, le message est de dénoncer toutes les inégalités qui concernent les femmes. Avec des chiffres à l'appui, ce roman devient manifeste sur le sujet de la prédominance masculine (le travail, les études, l'accueil à sa naissance....). On tombe des nues quand on voit ce pays si moderne par ailleurs (dans la technologie par exemple) , rester dans des blocages inégalitaires.
*
La parole est aussi donnée à la mère de la narratrice. Une rareté, une pionnière dans le mouvement féministe. Une voix qui s'impose tout en discrétion mais qui permet de faire émerger une réflexion. Petits pas....
Cette voix, c'est l'auteure, qui ose dénoncer, qui parle au nom de toutes les coréennes, qui souhaite changer les choses.
Malgré cette différence culturelle, certaines situations sexistes sont également transposables ici en France malheureusement. Ce livre a une portée universelle. Et je conseille cette lecture à tous les adolescents (tes) du monde entier.
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Kim Jiyoung vit à Séoul. Elle a un mari, une petite fille et un trouble de la personnalité. En effet, depuis quelques temps, la jeune mère au foyer parle avec la voix d'autres femmes. Pourtant, elle ne boit pas en cachette, elle ne se drogue pas et jusqu'à présent son comportement a toujours été exemplaire. Elle n'a pas non plus subi un choc récemment. Non. Pour en arriver là, Kim Jiyoung a simplement suivi le chemin banal d'une femme coréenne banale dans une société où être une femme est une tare incompatible avec les rêves, les ambitions, une carrière ou même un minimum de considération.

En six grands chapitres, Nal-joo Cho nous raconte les étapes-clés de la vie d'une femme comme les autres en Corée du sud.
Kim Jiyoung a grandi dans une famille de trois enfants, deux filles et enfin ! un garçon. le petit roi qui n'accomplit aucune tâche domestique, est toujours servi en premier à table, mange les meilleurs morceaux. Inutile de protester devant de telles injustices, la grand-mère remet fermement les filles à leur place.
En grandissant, Kim Jiyoung se rend compte que le traitement de faveur réservé à son jeune frère n'est pas une exception, plutôt une norme, une règle tacite qu'elle retrouve à l'école, au collège et au lycée. Grâce à sa mère, Kim Jiyoung peut choisir son cursus universitaire. Mais là encore, les étudiants ont des prérogatives dont ne bénéficient pas les filles.
Vient ensuite l'entrée dans le monde du travail. Malgré son diplôme, Kim Jiyoung, comme ses amies, obtient difficilement un entretien. Les entreprises privilégient les hommes et ne s'en cachent pas.
Quand enfin, elle est embauchée dans une société d'évènementiels, la jeune femme travaille d'arrache-pied, gère les dossiers les plus difficiles mais ne bénéficie d'aucune promotion. En haut lieu, on sait bien que dès qu'elle sera enceinte, elle démissionnera, comme la majorité des femmes coréennes.
Et la voilà mère au foyer. Oisive ? Non ! Entre l'entretien de l'appartement, les biberons, les repas, le linge, les couches, Kim Jiyoung est bien occupée. Ce qui n'empêche pas les actifs de traiter les femmes comme elle, d'''épouses parasites'', occupées seulement à dépenser l'argent que gagne durement leurs maris.
Kim Jiyoung, née en 1982 est donc l'histoire banale d'une femme banale qui encaisse, encaisse et encaisse encore, qui observe en silence la façon dont on bafoue les femmes le plus naturellement du monde, leur imposant des choix de vie qui ne sont pas les leurs, des salaires plus bas, des sacrifices, des humiliations quotidiennes.
Un livre coup de poing qui dénonce froidement, sans fioritures, sans effets de style. Juste des faits, étayés par des statistiques et le constat honteux d'un patriarcat assumé, inculqué dès le plus jeune âge avec une valorisation excessive des hommes et des femmes traitées en sujets secondaires. Tout cela dans une société évoluée, moderne et au XXIè siècle. Déprimant…
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Kim Jiyoung vit à Séoul, avec son époux et leur petite fille, elle avait un travail qu'elle a dû abandonner pour s'occuper de « sa famille », alors que son mari rentre de plus en plus tard le soir, à cause du travail. Un jour, tout dérape : elle se met à parler avec la voix et les expressions d'autres personnes. Au début, son mari pense qu'elle est peut-être sous l'effet de l'alcool, mais non, le lendemain cela recommence. Que se passe-t-il ? Est-ce un mode d'entrée dans la schizophrénie, un burn-out ou autre chose ?

A partir de là, flash-back et on revient sur le passé de Kim Jiyoung, son enfance, dans les années 1982-1994, dans une famille traditionnelle : dans la maison seul le père travaille, la mère a dû abandonner son désir de devenir enseignante. La mère de son père vit avec eux, et ne donne jamais un coup de main.

Elle a eu deux filles et lorsque la troisième grossesse se profile, elle est « sommée » d'avoir recours à un avortement thérapeutique car c'est encore une fille !!!! et elle doit se débrouiller seule :

Sa mère est allée toute seule à la clinique et a fait « effacer » la petite soeur de Kim Jiyoung. Ce n'était pas son choix, mais c'était sa responsabilité.

Quelques années plus tard, ils ont enfin un garçon, qui est le roi du monde, rien n'est assez bien pour lui, il y a une hiérarchie bien établie qui fait frémir :

Quand on servait un bol de riz bien chaud, tout juste cuit, l'ordre normal de distribution était d'abord le père, puis le petit frère et la grand-mère. Il était normal que le petit frère mangeât des morceaux de tofu frit, des raviolis et des galettes de viande, tandis que Kim Jiyoung et sa soeur se contenteraient des morceaux effrités ou de miettes.

Les filles travaillent bien à l'école mais donnent un coup de main à leur mère, les hommes de la maison et la grand-mère se tournant les pouces, (rendons justice à cette dernière : elle est très douée pour une chose, critiquer sa belle-fille !)

Cho Nam-Joo nous dresse un portrait de la société coréenne qui fait frémir, tant dans la famille, que plus tard au collège, au lycée, on voit Kim Jiyoung et sa soeur lutter sans cesse pour réussir, faire des études supérieures. La fille aînée finit par écouter sa mère et devient enseignante pour la sécurité de l'emploi, mais Jiyoung veut faire autre chose, des études de communication, car les médias l'intéressent…

L'auteure a très bien construit son roman, elle nous propose quatre périodes dans la vie de son héroïne et met en parallèle la société coréenne et son « évolution » : 1982-1994, puis 1995-2000 avec les études, le harcèlement des hommes dans les moyens de transport entre autres, mais aussi de la part des enseignants, les discriminations parce que ce sont des filles.

Les années 2001-2011 avec les études supérieures et l'entrée dans le monde du travail, et la manière immonde dont les femmes sont traitées, et les années 2011-2015 où Kim Jiyoung doit choisir.

A chaque période, le gouvernement vote des lois pour modifier les choses, mais elles restent toutes dans le placard : la loi interdisant la discrimination homme femme a été promulguée en 1999 mais c'est resté une loi !!!! on a même créé un ministère de l'égalité des sexes !!!

Une phrase en particulier :

D'ailleurs s'il avait confié à Kang Hyesu et à Kim Jiyoung des clients difficiles, ce n'était pas parce qu'il leur faisait confiance, mais parce qu'il ne fallait pas user les employés hommes, réputés pérennes, avec des tâches épuisantes.

Le régime patriarcal a soi-disant été aboli en Corée mais le statut de la femme est loin d'avoir évolué.

J'ai beaucoup apprécié ce livre, la manière dont Cho Nam-Joo l'a construit et son étude de la société coréenne est très bien faite, statistiques à l'appui. Il est dur et fait réfléchir sur les droits de la femme dans les autres sociétés où le patriarcat est bien établi…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Robert Laffont qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

#KimJiyoungnéeen1982 #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Ce livre coup de poing montre avec brio une photographie de la femme coréenne complètement piégée par une société patriarcale de laquelle elle a vraiment du mal à s'extirper.

C'est l'histoire de Kim Jiyoung , une jeune femme ordinaire , trente - cinq ans mariée , une fille, à l'automne 2015....
Elle a travaillé dans une société de communication jusqu'à la naissance de son enfant .
Sous forme de retours en arrière le lecteur découvre les années de jeunesse de la mère de Kim Jiyoung : elle était restée à la maison pour aider aux tâches domestiques et aux champs jusqu'à ses quinze ans , ensuite à Séoul elle travailla en usine , dans ce temps - là tout le monde pensait que seuls les fils feraient la réussite et le bonheur de la famille , les filles se chargeaient du soin de leurs frères.
En fait , les filles se sacrifiaient et trimaient pour leurs frères .

En six parties :nous découvrons le déroulement de la vie de Kim Jiyoung ,
1982 à 1994 , son enfance et adolescence,
1995 à 2000, ses études,
2001 à 2011 , ses études supérieures et le monde du travail...
D'un style froid, cinglant , clinique, acéré , sans fioritures , ni concessions, la narration est surprenante : l'auteure montre , sur le ton de la discussion les travers de la société coréenne, la disparité dans les études entre les garçons et les filles, la place importante , vitale , du garçon, la suprématie de L'Homme , les traditions pesantes, la discrimination dont les femmes coréennes sont victimes depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, les petites humiliations quotidiennes , les violences morales , les remarques non appropriées , le manque de femmes aux postes de responsabilité , les candidatures non retenues——-jusqu'à la caricature ——-les missions non intéressantes , les salaires non réévalués , le harcèlement sexuel au travail l'indifférence voire le mépris du père, le silence de la mère, éloquent , malgré ses colères flamboyantes, de temps en temps .... vu les propos rétrogrades, archaïques , de son père ...

Kim Jiyoung est le miroir de la condition féminine en Corée «  Les garçons disaient des filles qu'elles étaient «  des fleurs ou des petites lumières rares , comme s'ils les chérissaient , en même temps, entre eux , ils se félicitaient d'être de bons garçons , généreux , forts , facile à vivre , de vrais piliers pour le club, ils décidaient de tout....... ».
Kim Jiyoung n'accède pas à ses rêves , elle élève son enfant en renonçant à sa vie, à son travail, à ses rêves , à tout ce qu'elle était :
«  Et je suis devenue quoi, une mère - parasite ?
Qu'est ce que je dois faire maintenant ?

Un livre brut qui bouscule, révolte , émeut, touche , fait réfléchir ...
Un livre à lire absolument ....
«  Sur les poussières sentimentales accumulées, une étincelle était tombée ,et la plus belle époque de sa vie brûla vainement pour ne laisser qu'un tas de cendres » ....
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Le sol était chaud, son corps a fondu de fatigue…
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Kim Jiyoung est entrée à l’école primaire. C’était une grande école où
elle pouvait se rendre en vingt minutes, cheminant par plusieurs ruelles.
Pour chaque année, il y avait de onze à quinze classes, avec une
cinquantaine d’élèves par classe. Ils étaient si nombreux que, avant la
rentrée de Kim Jiyoung, les classes des plus petits furent divisées en
classe du matin et classe de l’après-midi.
Pour Kim Jiyoung qui n’avait pas connu la maternelle, l’école primaire
fut, pour ainsi dire, sa première expérience de vie sociale. Elle s’en sortit
plutôt bien. La période d’adaptation passée, la mère de Kim Jiyoung la
confia à la garde de sa grande sœur qui fréquentait la même école. Tous
les matins, sa sœur l’aidait à préparer ses manuels scolaires et ses cahiers
selon l’emploi du temps du jour et son carnet de correspondance. Elle
mettait, dans sa grosse trousse au motif de princesse, quatre crayons à
mine, ni trop pointus ni trop usés, avec une gomme. Les jours où elle
avait besoin d’une fourniture particulière, sa mère donnait de l’argent à
sa grande sœur pour qu’elle lui achète le nécessaire dans la papeterie en
face de l’école. Kim Jiyoung, sans se perdre sur le chemin ni varier de
route, allait et venait de l’école à la maison sans incident. Elle restait sage
sur sa chaise tout le long des cours et ne fit jamais pipi dans sa culotte.
Elle recopiait correctement dans son carnet de correspondance les mots
inscrits par la maîtresse au tableau noir. Elle avait assez souvent 100 sur
100 à ses dictées.
La première difficulté qu’elle rencontra à l’école fut les blagues
méchantes du voisin de table, difficulté que connaissaient de nombreuses
petites filles de son âge. Pour Kim Jiyoung, toutefois, il ne s’était pas agi
de simples blagues, mais de violence, de méchanceté. Elle en souffrait
beaucoup mais n’avait d’autre recours que de s’en plaindre à sa grande
sœur ou à sa mère. Lesquelles ne pouvaient rien pour elle. Sa sœur disait
que les garçons étaient indécrottablement puérils, que l’on n’y pouvait
rien, qu’elle ferait mieux de les ignorer. Quant à sa mère, elle lui disait
qu’au lieu d’en faire toute une histoire elle devrait comprendre que le
garçon cherchait simplement à être ami avec elle.
Son voisin de table a commencé par bousculer Kim Jiyoung. En
s’asseyant, en se mettant en rang par deux, en prenant son cartable,
chaque fois il lui donnait un coup d’épaule. Quand il la croisait, il
s’approchait exprès d’elle et la tapait au passage sur le bras. Il empruntait
sa gomme, son crayon ou sa règle et ne les rendait pas tout de suite.
Quand elle réclamait ses affaires, il les jetait au loin ou posait ses fesses
dessus, ou parfois s’entêtait à dire qu’il ne les avait pas prises. Alors,
comme elle essayait de récupérer ses affaires pendant le cours, il leur
arrivait d’être punis tous les deux. À partir du moment où Kim Jiyoung a
cessé de lui prêter quoi que ce soit, il s’est mis à se moquer d’elle, de ses
habits, de ses paroles maladroites. Il s’est aussi mis à cacher n’importe où
son cartable ou son sac à chaussons pour qu’elle panique en les
cherchant partout.
Un jour, au début de l’été, pendant le cours, Kim Jiyoung, gênée par
ses pieds qui transpiraient, avait ôté ses chaussons. D’un coup, poussant
sa jambe sous son pupitre, son voisin fit voler l’un des chaussons qui fila
dans l’allée et glissa jusqu’au bureau de la maîtresse. Toute la classe se
transforma aussitôt en mer d’hilarité. La maîtresse, visage cramoisi,
cria en tapant sur son bureau :
— À qui est ce chausson ?
Kim Jiyoung n’osait pas répondre. Elle avait peur. Bien que le
chausson fût le sien, elle attendait que son voisin se dénonce. Mais le
voisin, sans doute tout aussi apeuré, restait tête basse, bouche cousue.
— Vous ne répondez pas ? Vous voulez que je contrôle vos
chaussons ?
À voix basse, Kim Jiyoung murmura à son voisin en le poussant du
coude :
— C’est toi qui l’as lancé.
À quoi il répondit baissant encore plus la tête :
— Mais c’est pas mon chausson.
La maîtresse frappa une nouvelle fois sur son bureau. Kim Jiyoung
n’avait plus le choix, elle leva le bras. Sommée de venir jusqu’au bureau
de l’institutrice, elle se fit sermonner devant toute la classe. Comme elle
n’avait pas répondu sur-le-champ à la question « À qui est ce
chausson ? », elle devenait en un instant une petite fille lâche et qui volait
du temps d’étude à ses camarades, menteuse et voleuse à la fois. Kim
Jiyoung était couverte de pleurs et de morve, dans un état où elle se
trouvait incapable de donner plus d’excuses ou d’explications. À ce
moment, une petite voix se fit entendre :
— Ce n’est pas Kim Jiyoung la coupable.
C’était la voix d’une fille du dernier rang, de l’autre côté de l’allée des
pupitres.
— C’est son chausson à elle, mais ce n’est pas elle qui l’a lancé. J’ai
tout vu.
Embarrassée, la maîtresse interrogea :
— Qu’est-ce que tu racontes ? Si ce n’est pas elle, qui d’autre ?
Sans oser le nommer, la fille ne faisait que fixer la nuque du coupable.
Le regard de la maîtresse ainsi que ceux des autres élèves convergèrent
au même endroit. Le garçon finit par avouer. La maîtresse le disputa
sévèrement, le visage deux fois plus rouge, d’une voix à peu près deux
fois plus forte et à peu près deux fois plus longtemps que pour les
réprimandes à Kim Jiyoung.
— Toi, ça fait un moment que tu embêtes Kim Jiyoung. J’ai tout vu
depuis le début. Ce soir, tu vas noter tout ce que tu as fait de mal à Kim
Jiyoung, tout depuis le début, sans rien oublier. Ne t’avise pas d’omettre
quoi que ce soit car je sais tout. Tu le montreras à ta maman et tu me
rapporteras ton carnet de correspondance demain avec sa signature.
À la fin de la journée, le voisin partit, épaules basses, marmonnant
qu’il allait se faire massacrer par sa maman. Quant à la maîtresse, elle
avait demandé à Kim Jiyoung de rester dans la salle après la classe.
Kim Jiyoung était tendue, elle se demandait ce qu’elle avait fait de mal.
Chose inattendue, dès que la maîtresse se fut assise devant Kim Jiyoung,
elle s’excusa. Elle dit qu’elle était désolée d’avoir commencé par
l’admonester avant même de saisir ce qui s’était passé, que naturellement
elle avait cru que la fautive était la propriétaire du chausson, que ce n’était
pas assez réfléchi de sa part, que désormais elle ferait attention. Elle
s’expliqua posément, point par point, et promit que cela ne se
reproduirait pas. La tension de Kim Jiyoung fondait au fur et à mesure,
laissant place à une violente crise de larmes. La maîtresse lui demanda si
elle avait autre chose à ajouter ou des questions et Kim Jiyoung,
difficilement, tâchant de ravaler ses sanglots, répondit en tremblant :
— Mon voisin… bou-ou-ou… changez-moi de voisin… Et puis…
bou-ou-ou… plus jamais… bou-bou-ou-ou… je serai à côté de lui…
Bou-ou-ou… s’il vous plaît…
La maîtresse tapota gentiment l’épaule de Kim Jiyoung.
— Mais tu sais, Jiyoung, moi, je l’avais remarqué auparavant, ton
voisin, tu n’as pas compris, toi, mais il t’aime.
Kim Jiyoung fut à ce point abasourdie que ses larmes s’arrêtèrent net.
— Il ne m’aime pas. Vous avez dit que vous saviez tout ce qu’il m’avait
fait comme méchancetés.
La maîtresse sourit.
— Les garçons sont comme ça. Ils font exprès d’être méchants avec
les filles qu’ils aiment. Et ils les embêtent aussi. Je vais lui parler, pour
qu’il comprenne. Plutôt que de changer de place en restant sur ce
malentendu, moi j’aimerais que vous profitiez de l’occasion pour devenir
de vrais bons amis.
Quoi, mon voisin m’aime ? Être méchant, c’est une preuve d’amour ?
Kim Jiyoung s’est sentie désorientée. Elle a repensé à tout ce qui s’était
passé, mais sans parvenir à comprendre ce que lui avait dit la maîtresse. Si
on aime quelqu’un, alors il faut être encore plus gentil avec cette
personne, encore plus aimable. Que ce soit pour un ami, sa famille, un
chien ou un chat à la maison, c’est ça qu’il faut faire, pas l’inverse. Et cela
Kim Jiyoung le savait, du haut de ses huit ans. Il lui avait déjà rendu la vie
à l’école assez difficile. Elle avait subi assez d’injustices, et maintenant elle
était la mauvaise fille qui ne comprenait pas son ami ? Kim Jiyoung
secoua la tête.
— Non, je ne veux pas. Changez-moi de voisin.
Le lendemain, la maîtresse réorganisa les tables de la classe. Kim
Jiyoung eut un nouveau voisin, un garçon qui, du fait de sa grande taille,
était toujours assis seul au dernier rang. Et les deux enfants ne se
disputèrent jamais.
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— Ce n’est pas équitable.
Yuna enchaîna, très calme.
— Je veux dire, manger tous les jours dans l’ordre de nos numéros
d’élève, ce n’est pas équitable. Nous devons demander que cela change.
Voulait-elle dire qu’elle allait parler au maître ? Était-ce quelque chose
que l’on pouvait dire au maître ? s’est demandé Kim Jiyoung. Oui, Yuna
pourrait, s’est-elle dit. Yuna était une bonne élève, sa mère était la
présidente de l’association de parents d’élèves. Le vendredi suivant, en
« vie de classe », Yuna a en effet levé le doigt pour demander la parole.
— Je pense que nous devrions changer l’ordre du service à la cantine.
Yuna a exposé son point de vue de façon claire, avec calme, regardant
droit dans les yeux le maître qui se tenait devant la classe, à côté de son
bureau.
— Comme nous sommes servis dans l’ordre de nos numéros, ceux
qui ont les derniers numéros sont toujours servis en dernier ; par
conséquent, ils finissent leur repas en dernier. Ce n’est pas juste que les
derniers numéros soient toujours servis en dernier. Il faudrait changer
régulièrement l’ordre du service à la cantine.
Le maître a conservé son sourire, mais les commissures de ses lèvres
ont légèrement tressailli. L’atmosphère dans la classe était tendue comme
un arc. C’est Yuna qui avait parlé, mais Kim Jiyoung était si crispée que
ses propres jambes tremblaient. Alors le maître, qui restait à la fixer avec
un sourire, a dit :
— À partir de demain, nous partirons du numéro 49 en inversant
l’ordre. Nous changerons le numéro de départ chaque mois.
Les filles porteuses des derniers numéros ont acclamé l’annonce.
L’ordre du service changea, mais pas l’ambiance générale de la cantine.
Le maître faisait toujours la chasse à ceux qui finissaient tard leur repas et
les grondait aussi fort qu’avant. Deux des six filles qui s’étaient réunies
chez Mamie Tteokbokki étaient restées parmi les dernières servies. Pour
Kim Jiyoung, qui se trouvait à peu près au milieu, il n’y eut pas de grand
bouleversement. Elle eut tout de même le sentiment d’être perdante si
elle mangeait trop lentement et se donna à fond pour accélérer, sortant
enfin du groupe des retardataires.
Quoique infime, elle sentit qu’elles avaient remporté une sorte de
victoire. En s’opposant au pouvoir absolu du maître, elles avaient fait
changer une chose qu’elles estimaient injuste. Pour Kim Jiyoung, pour
Yuna et pour les autres filles des derniers numéros, ce fut une expérience
précieuse. Kim Jiyoung sentit vaguement avoir acquis un début de sens
critique et de confiance en elle-même. Pourtant, à ce stade, elle ne s’était
pas encore rendu compte d’un certain nombre de choses. Par exemple :
pourquoi débutait-on par les garçons pour attribuer le numéro d’élève ?
Le fait qu’un garçon soit numéro un, le fait que l’on débute par les
garçons, le fait que les garçons soient devant les filles, demeurait tout
simplement évident, naturel. Pendant que les garçons se mettaient en
rang par deux puis en marche avant les filles, qu’ils faisaient leurs
exposés avant les filles et que leurs devoirs étaient corrigés avant ceux des
filles, elles attendaient silencieusement leur tour, s’ennuyant un peu,
parfois pensant que c’était tant mieux, sans jamais s’interroger sur cette
façon de faire. De même qu’elles vivaient sans se demander pourquoi le
numéro de carte d’identité des garçons débutait par un 1 et celui des
filles par un 2.
À partir de la quatrième année, les élèves élisaient leur délégué de
classe. Deux fois par an, un pour le premier semestre, un autre pour le
second. Jusqu’à la sixième et dernière année de primaire, Kim Jiyoung a
donc participé à six élections. Les six fois, c’est un garçon qui a été élu. À
côté de ça, nombreux étaient les maîtres ou les maîtresses qui
s’entouraient de cinq ou six élèves, toujours des filles, intelligentes et
dégourdies, pour effectuer des commissions, les aider à corriger des
copies. Ces maîtres et maîtresses répétaient un refrain selon lequel les
f illes sont plus intelligentes que les garçons. Les enfants aussi trouvaient que
les filles travaillaient mieux que les garçons, qu’elles étaient plus calmes,
plus précises. Or, bizarrement, lors des élections, c’étaient encore les
garçons qui l’emportaient. Il ne s’agissait pas là du constat personnel de
Kim Jiyoung. À l’époque, il y avait nettement plus de délégués garçons
que filles. Elle se souvient que peu après son entrée au collège elle avait
entendu sa mère avoir ce commentaire étonné en lisant le journal :
— Eh bien, il paraît que le nombre de filles déléguées a beaucoup
augmenté ces derniers temps. Plus de 40 %. Nous aurons peut-être une
femme présidente quand Eunyeong et Jiyoung seront grandes.
Ce qui signifie qu’à l’époque où Kim Jiyoung était écolière, plus de
60 % des délégués étaient des garçons, et que ce chiffre marquait déjà un
progrès spectaculaire par rapport au passé.
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C’était l’époque où le gouvernement mettait en œuvre toute une série de mesures pour contrôler les naissances, au nom du planning familial. Dix ans plus tôt, l’IVG pour raison médicale avait été rendue légale. Comme si avoir une fille constituait une raison médicale, l’avortement des fœtus filles était pratiqué de façon massive. Cette tendance allait persister durant toutes les années quatre-vingt, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix où la population atteignit le point culminant du déséquilibre des naissances garçon/filles.
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Madame Oh Misuk, la mère de Kim Jiyoung, avait deux grands
frères, une grande sœur et un petit frère. Tous avaient quitté tôt la
campagne natale. D’origine paysanne depuis des générations, leurs
ancêtres avaient vécu leur vie sans difficulté notable. Mais c’est le monde
qui avait changé. Le pays, autrefois essentiellement agricole, s’était
industrialisé à grande vitesse et désormais il n’était plus possible de vivre
décemment du seul travail aux champs. Le grand-père maternel de Kim
Jiyoung, à l’instar de la plupart des parents du milieu rural de l’époque,
avait envoyé ses enfants dans les grandes villes. Pour autant, il n’était pas
si à l’aise financièrement pour que chacun des enfants puisse étudier,
comme ils l’auraient souhaité. Se loger en ville coûtait cher, globalement,
la vie y était onéreuse. Les études plus encore.
La mère de Kim Jiyoung, après avoir terminé l’école primaire, était
restée à la maison pour aider aux tâches domestiques et aux champs
jusqu’à ses quinze ans, quand elle était montée à Séoul. Sa sœur, de deux
ans son aînée, y était déjà installée et gagnait sa vie dans une usine de
textile. La mère de Kim Jiyoung s’y fit embaucher. Les deux sœurs et
deux autres jeunes filles logeaient ensemble dans une chambre de deux
pyeongs. La plupart des collègues de l’usine étaient des jeunes filles.
Toutes avaient à peu près le même âge, le même niveau scolaire et une
situation familiale similaire. Ces jeunes ouvrières croyaient que la vie
c’était ça, trimer sans cesse, sans dormir assez, sans se reposer
suffisamment, sans manger correctement. Avec la chaleur que crachaient
les machines, l’air était à la limite du supportable. Même en remontant le
plus haut possible sur leurs cuisses leurs jupes déjà courtes, les gouttes
de sueur glissaient de leurs coudes, de leurs cuisses. Les poussières qui
saturaient l’atmosphère confinée amoindrissaient la vue et nombreuses
étaient les filles qui souffraient de troubles respiratoires. La somme
ridicule qu’elles gagnaient en s’épuisant nuit et jour, le visage jauni par le
sommeil qu’elles combattaient à coups de pilules, allait pour l’essentiel
servir à payer les études du grand ou du petit frère. Dans ce temps-là,
tout le monde pensait que le fils ferait la réussite et le bonheur de la
famille, qu’il allait l’élever dans l’échelle sociale. Aussi les filles se
chargeaient-elles volontiers du soin de leurs frères.
L’aîné des oncles a fait des études de médecine à l’université publique
de la région, après quoi il a mené toute sa carrière dans le CHU dont il
était issu. Le cadet des oncles a pris sa retraite en tant que commissaire
de police. Pour sa mère, il était gratifiant de voir ses deux grands frères,
sérieux et droits, réussir de belles études. Leur succès était aussi sa fierté.
Elle se plaisait à vanter leur réussite devant ses camarades d’usine. Une
fois ces frères financièrement indépendants, elle avait continué à trimer
pour le petit dernier. Grâce à elle, le benjamin put ainsi finir ses études
dans une université de la capitale. Pourtant les gens tressaient des
lauriers à cet oncle aîné qui, soi-disant, avait su si bien redresser la famille
et l’entretenir. Ce n’est qu’alors que sa tante et sa mère comprirent
qu’elles-mêmes n’auraient jamais leur chance dans le cercle familial. Sur
le tard, les deux filles se mirent à étudier, dans un établissement qui
dépendait de leur usine. Le jour elles allaient à l’usine, la nuit elles
révisaient leur certificat d’études. Sa mère a poursuivi au-delà du collège.
L’année où son dernier oncle, le benjamin, est devenu professeur dans
un lycée, sa mère validait son équivalence de diplôme de fin d’études
secondaires.
Kim Jiyoung était écolière quand un jour sa mère, qui contemplait
une phrase de la maîtresse sur son carnet de correspondance, sortit :
— Moi aussi j’aurais voulu être maîtresse d’école.
Pour Kim Jiyoung, une maman était une maman et la phrase sonnait
bizarrement. Ne comprenant pas vraiment, elle eut juste un petit rire.
— C’est vrai. Quand j’étais à l’école, j’étais la plus douée de nous cinq.
Je réussissais mieux que ton grand-oncle.
— Pourquoi tu n’es pas devenue maîtresse, alors ?
— Parce qu’il fallait gagner de l’argent pour payer les études de mes
frères. C’était l’usage. Toutes les femmes faisaient cela, à l’époque.
— Mais maintenant, tu peux devenir maîtresse ?
— Maintenant il faut gagner de l’argent pour vous envoyer à l’école.
C’est comme ça. Toutes les mamans font cela.
Sa mère regrettait sa vie manquée et regrettait d’être devenue la
maman de Kim Jiyoung – une pierre, ferme et lourde, quoique petite, qui
pèse contre un pan de sa longue jupe. Kim Jiyoung avait d’un coup
l’impression d’être cette pierre et ça la rendait triste. La mère, percevant sa
peine, de ses doigts, tendrement, a remis de l’ordre dans les cheveux de
sa fille.
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