Nathalie Brunal

Certes, j’étais exténuée, toutefois, être loin de chez moi ravivait le sentiment de tristesse que j’éprouvais. Je pensais à Père et à ses vives discussions. Alphonsine, qui lisait le soir venu au coin de la cheminée tandis que Mère et moi brodions, ressentait-elle également ce manque qui se faisait cruellement sentir ? Nous nous retrouvions souvent toutes les deux dans mon lit et bien au chaud sous l’édredon, nous imaginions notre avenir.

Émeline était très jolie. Elle ressemblait à une poupée de porcelaine. Blonde comme les blés, sa chevelure était tressée et enroulée en chignon. Avec son ossature fine, seul son ventre informait sur son état. Plus petite que moi, elle avait l’air d’une adolescente. La blancheur de son teint m’inquiéta et ses traits tirés par la fatigue me confortèrent dans la décision que j’avais prise de tenir tête à Mère.

Les hommes sont bourrus et irrespectueux !

Seule sur ce chemin isolé, je me mis à parler à haute voix, maudissant Mère de m’avoir fait cet abominable chantage. Aussi têtue que Père, j’avais apprécié de lui tenir tête et d’affirmer que je voulais partir malgré tout afin d’aider cette pauvre Émeline. Je n’en menais pourtant pas large et si j’avais pu faire demi-tour sur le champ, je l’aurais fait. Pour rendre cette « promenade » agréable, je reportai mon attention sur la nature environnante.

De toute façon, il ne comprenait pas qu’une jeune femme de la ville vienne se perdre dans ces contrées sauvages, même au motif de secourir un membre de sa famille. Devant mon impossibilité à lui expliquer clairement ma venue en ces lieux, nous avions poursuivi notre chemin, chacun perdu dans ses pensées. Je n’allais quand même pas avouer au premier venu que Mère m’avait fait du chantage : le mariage ou les sauvageons !

Malgré les diverses réceptions que Mère organisait, je rejetais en masse tous les prétendants qui m’étaient présentés. Un seul persévérait envers et contre tout. Pourtant, je m’efforçais de l’évincer par tous les moyens possibles et imaginables. Edmond était instruit, devait prendre la suite dans le cabinet d’avocats de son père et plaisait beaucoup à mes parents… Seul hic, je n’éprouvais pour lui aucun sentiment amoureux. Ma mère se révoltait souvent devant mes propos en me certifiant que l’amour viendrait avec le temps. Je n’y croyais absolument pas et, par romantisme, aspirais au coup de foudre et à la rencontre avec le véritable amour.

À 22 ans, il était temps pour moi de convoler en justes noces. Nous étions de bonne famille, avions reçu une éducation stricte et nos parents étaient nés avec « une cuillère en argent dans la bouche ». Tous ces éléments réunis nous permettraient de faire un beau mariage, de raison à défaut d’amour s’il le fallait.

Être une dame de la haute société n’était pas dénué d’ennui. Pratiquer le piano, donner des ordres au personnel de maison et suivre la mode, cela n’occupait qu’un temps… Ces rencontres hebdomadaires lui permettaient de quitter la demeure familiale pendant quelques heures et d’écouter les cancans.

Apolline ne songeait aucunement à l’amour et ne se sentait pas prête à épouser le premier venu. Quant à Alphonsine, sa sœur, sa jeunesse et son impétuosité la préservaient pour le moment des intentions de leur mère. En cette année 1898 après que le XIXe siècle eut permis de grands changements, des décisions allaient chambouler la vie de ces deux jeunes femmes.

Une nouvelle ère était en route. Malgré tout, les mentalités restaient les mêmes et les riches familles établies pensaient toujours être supérieures aux plus pauvres. Dans la ville traversée par la rivière Saskatchewan se promenaient souvent des jeunes filles en compagnie de leurs galants. Ils arpentaient une des rives tandis que l’autre semblait être réservée aux plus démunis. Du côté des nantis, il y avait une jolie fontaine et des bancs afin de se reposer à l’ombre et discuter.

"— Je m’appelle Peter, je suis là pour t’aider à mener à bien ta mission. Je suis ton supérieur hiérarchique et mon rôle est de veiller sur toi. Moi aussi, je suis descendu sur terre à plusieurs reprises afin d’aider des êtres chers et c’est un acte difficile à accomplir.
— Est-ce que je peux repartir avec vous ? Vous en attendez trop de moi et je n’en suis pas capable.
— Ne doute jamais de tes capacités. C’est toi qui as été choisie, c’est un signe de confiance et je te rappelle que tu as paraphé le contrat.
Ah oui, le fameux papier que je n’ai pas pris la peine de lire…
— N’y a-t-il pas un délai de rétractation ?
Il me sourit en secouant négativement la tête".

Quand on court toute la journée, rester à ne rien faire est difficile. Une fois le frigo rempli, le ménage effectué, le linge lavé et repassé et les chambres faites de fond en comble, je n’avais plus rien à faire. Me regarder le nombril n’étant pas dans mes habitudes (pour ce faire, il faudrait d’ailleurs que je le trouve au milieu de la bouée qui me sert de ventre !), je me suis mise à jour dans les séries que je suivais à une époque lointaine. Regarder la télé s’accompagne souvent de grignotage...

Ils se comportent comme des enfants et tout est prétexte à des chamailleries. Ils se bousculent dès qu’ils le peuvent et vont finir, avant la fin de la journée, par se voler dans les plumes.

Les livres permettent de s’évader, de découvrir de nouveaux horizons et enrichissent le vocabulaire. De nos jours, un enfant n’est heureux qu’avec un écran. Enlevez-lui tout ce qui est connecté et vous verrez sa réaction. Il peut très vite devenir agressif et surtout il s’ennuiera. Il faudrait dans ces cas-là lui fournir un dictionnaire. Les ados d’aujourd’hui ont un réel souci avec l’orthographe. Je ne sais pas les vôtres, mais le mien fait du concentré de mots et de phrases.

Je n’ai pas la science infuse... Les enfants sont extrêmement curieux, mais parfois il faudrait être zoologue ou avoir avalé le Petit Robert pour assouvir leur curiosité. Je pensais que Max expliquerait certaines choses à son frère et parcourrait avec lui les nombreuses encyclopédies que je leur ai achetées, mais je faisais erreur. Comme cette nouvelle génération ne voit que par le numérique, pourquoi voulez-vous que les ados tournent les pages d’un livre ? Joris lui a demandé de quoi se nourrissait une baleine. Max a haussé les épaules et lui a mis entre les mains la tablette ! J’ai halluciné ! Et avec les progrès qui sont faits chaque jour, je plains les générations futures.

Quand on dit que les enfants parlent tout droit devant eux, ce n’est pas un mythe ! Je n’ose plus bouger ni parler. Monsieur Samuelles fait entrer Joris dans la classe. Il se retourne pour me faire un signe de la main. Je lui envoie un bisou même si à ce moment précis, j’ai une folle envie de l’étrangler ! Il y a bien des moments où on a le droit de les détester ! Ce n’est pas parce qu’ils sortent de nos entrailles qu’on doit les aimer envers et contre tout.

Les ados adorent la mauvaise bouffe. On leur explique que tels ou tels aliments ne sont pas bons pour eux et leur croissance, mais ils s’acharnent à faire tout le contraire ! Je devrais dire à Max que les carottes et les épinards, c’est mauvais pour la santé, peut-être en mangerait-il… ?

Mentir n’est pas beau, mais là, c’est une question de vie ou de mort. Je ne me sens pas capable de supporter un cataclysme quel qu’il soit ! Je tiens à mes nerfs.

Tout changement est difficile au début, compliqué au milieu et magnifique à la fin.
Robin Sharma, écrivain.