AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de MegGomar


c’était l’imaginaire national, et bien sûr un imaginaire qui se pense
rationnel… enfin, non : raisonnable. On tâche tous
de tenir un milieu ; d’échapper à l’hybris.
Que ça déborde pas, je veux dire. Les personnels de l’éducation nationale
sont sans doute les plus aguerris à repérer le débordement possible, c’est-à-
dire à savoir que quel que soit l’état de stabilité ou de stase apparent d’un
moment, tout peut, d’un mot d’un geste ou d’un regard, partir brutalement
en vrille c’est-à-dire, et en considérant a priori les adolescents moins
comme une population spécifique que comme un âge précis qui ne clôt pas
à dix-huit ses désirs ses arbitraires mais en établit un répertoire décliné
ensuite plus poliment, que les personnels de l’éducation nationale ne
perdent jamais de vue et ont toujours conscience que tout
peut dans le pays partir en vrille d’un instant à l’autre et c’est la raison pour
laquelle ils font toujours deux choses à la fois : dicter une dictée ET guetter
; expliquer un théorème ET guetter ; raconter Louise Michel ET guetter ;
distribuer des copies ET guetter, etc. Faire toujours deux choses à la fois,
dont guetter. Avoir l’œil. Si on a un point commun avec les gendarmes
mobiles c’est celui-là. Il ne nous appartient pas de veiller à ce que chaque
élément prenne ou ait l’air de prendre plaisir à ce qu’il fait, c’est-à-dire soit
d’accord.
Je n’ai personnellement jamais connu de classe où il n’y ait pas de perte
sèche, d’élève qui s’ennuie depuis le début jusqu’à la fin sans relâche, la
moyenne sur un groupe standard de 25 étant de 5
(qui s’ennuient) avec certitude
de 10 supposés, de 5 passionnés
ou faussement désinvoltes + le reste. La constante c’est que la plupart, à un
degré plus ou moins élevé de conscience de ça, ne sont pas d’accord et
qu’on les laisse ne pas être d’accord, ce qui
est la grandeur du métier, et qu’on surveille ceux qui ne sont pas d’accord,
ce qui est moins la grandeur du métier. Le boulot de l’élève, c’est à peu près
ce que vous êtes en train de faire : lire du texte assis, mais assis sur une
chaise.
C’est la position. Bon.
Vous tenez combien de temps ? Il s’agit de tenir quatre heures le matin ;
trois heures l’après-midi.
On se sert de ses mains pour
tourner les pages, écrire, ouvrir une trousse. Ouvrir une trousse et fermer
une trousse, et ce moment intense de la fermeture éclair qui glisse bien à
l’aller et au retour.
Ouvrir une trousse. Fermer une trousse.
Ouvrir une trousse. Fermer une trousse. Ouvrir une trousse. Fermer une
trousse. Ouvrir une trousse. Fermer une trousse. Ouvrir une trousse. Fermer
une trousse.
Ou alors plier
scrupuleusement
un papier en quatre ou en six ou en huit et le glisser sous un pied de table
pour qu’elle ne branle pas. Ou alors mettre son doigt dans le trou qu’a
creusé quelqu’un au compas dans la table. Ou alors toucher du doigt le pull
de sa voisine, son coude pour qu’elle transmette. Ou alors démonter son
stylo. Dévisser le capuchon, ôter le ressort et la cartouche, poser le
capuchon, le ressort et la cartouche et le corps en plastique du stylo sur la
table et les faire rouler avec le doigt et puis tout remonter.
Détacher des bouts de gomme. Mettre sa main sur la fonte toute chaude du
radiateur. Passer son doigt sur un mot gravé dans la table, ça fait
une sensation. Fouiller dans sa trousse. Arracher des morceaux de papier
peint. Arracher des feuilles dans son classeur les rouler en boule. Déchirer
en petits morceaux une feuille et poser les petits morceaux sur la table. Fin
des travaux pratiques.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}