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3.57/5 (sur 226 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris , le 08/03/1964
Biographie :

Nathalie Quintane est une poétesse et performeuse française.

En 1993, elle rencontre Stéphane Bérard et Christophe Tarkos à Marseille. Ils fondent RR, une revue (en fait, une feuille au format A3 photocopiée) qui parodie les textes et les mœurs de la poésie contemporaine et est distribuée essentiellement "en interne", aux principales figures de la poésie de l'époque.

Elle publie alors dans d'autres revues de poésie (Action Poétique, Nioques, Doc(k)s, Java ou encore la Revue de littérature générale) et participe à de nombreuses lectures publiques, en France et à l'étranger.

Elle est l'actrice principale des films de Stéphane Bérard (Mortinsteinck, 1998).

Nathalie Quintane a également publié de nombreuses recensions et articles critiques. Elle a contribué à la redécouverte de l'œuvre de Raymond Federman en France.

Ses six premiers livres, publiés entre 1997 et 2001, sont constitués d'un assemblage ou montage de phrases, proses courtes ou fragments de récits, qui portent un regard humoristique et critique sur des lieux communs (Jeanne Darc, P.O.L., 1999 ; Saint-Tropez, P.O.L., 2001) ou des genres littéraires, savants ou populaires, eux-mêmes lieux communs de la littérature ou du commerce, comme la "poésie du quotidien" (Remarques, Cheyne, 1997 ; Chaussure, P.O.L., 1997), l'autobiographie (Début, P.O.L., 1999), les livres associés à la sortie d'un film (Mortinsteinck, 1999).
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Regards-croisés Québec-France Diffusion de la lecture-rencontre entre Alain Farah (Québec) et Nathalie Quintane (France).

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Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
C'est là que d'un coup, à un moment, j'ai réalisé que mes meilleurs amis étaient nuls en orthographe et que je vivais avec un dyslexique qu'on avait pris pour un abruti pendant toute sa scolarité et qui finalement avait fait des études supérieures — tout comme mes amis nuls en orthographe. Mais alors, s'il y avait des gens nuls en orthographe et capables de développer une pensée et une appréhension sensibles du monde, ça impliquait a contrario qu'il y avait des gens à l'orthographe impeccable qui pensaient comme des pommes ou qui étaient vraiment cons. On connaît tous des cons qui font pas de fautes, non ?
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Y a rien de plus rapide à corriger qu’un paquet de dictées. T’as des notes, tu
les rends, les parents comprennent et tout le monde est content.
On a pu faire chier des profs pour une phrase dans Artaud ou dans Zola, un
geste ou de l’humour mal compris, mais on a jamais emmerdé personne
parce qu’il donnait trop de dictées – en tout cas, j’en ai jamais entendu
parler. La dictée notée sur 20, c’est le seul exercice où tu peux te récolter -
40, et à ce que je sache, ça n’a jamais étonné personne. - 40, c’est
probablement un dyslexique.
En 2010, ils se tapaient encore la dictée en entier et la descente en enfer. La
plupart on croyait qu’ils étaient bêtes.
C’est là que d’un coup, à un moment, j’ai réalisé que mes meilleurs amis
étaient nuls en orthographe et que je vivais avec un dyslexique qu’on avait
pris pour un abruti pendant toute sa scolarité et qui finalement avait fait des
études supérieures – tout comme mes amis nuls en orthographe. Mais alors
s’il y avait des gens nuls en orthographe et capables de développer une
pensée et une appréhension sensibles du monde, ça impliquait a contrario
qu’il y avait des gens à l’orthographe impeccable qui pensaient comme des
pommes ou qui étaient vraiment cons.
On connaît tous des cons qui font pas de fautes, non ?
Il paraît que sur les applis de rencontres, ça trie par l’orthographe
ceux qui écrivent sans fautes branchent ceux qui écrivent sans fautes
et s’auto-sélectionnent comme ça socialement sous-entendu que les pauvres
sont incapables d’aligner deux lignes et en général de s’exprimer.
C’est pour ainsi dire l’aboutissement d’une manière de voir les choses, la
société telle qu’elle fonctionne et telle qu’on croit qu’elle est ; pour ainsi
dire le couronnement d’une centaine d’années d’école publique et privée,
confessionnelle ou laïque et obligatoire, parce qu’au niveau de
l’orthographe et de son respect c’est pareil des deux côtés. On peut
s’écharper sur le genre par rapport au zizi mais certainement pas sur
l’accord du participe passé avec avoir quand le complément d’
objet direct est placé avant le verbe, là, tout le monde est d’accord pour dire
que le savoir c’est une preuve d’
intelligence puisque c’est pas facile à comprendre (et en effet, c’est
incompréhensible). Récemment j’étais surprise de ce que de plus en plus de
mes collègues laissaient des fautes
dans leurs communications (depuis l’arrivée de l’informatique, on n’arrête
pas de s’écrire). Les mômes aussi le remarquent :
— Vous avez vu, monsieur Truc il fait plein de fautes !
Je tempère :
— Lamartine aussi il en faisait plein, et il est devenu député. Malgré tout,
j’avais dans la tête que les fonctionnaires font pas de fautes, pas parce que
le concours agirait magiquement et que dès lors que vous l’avez passé vous
n’en faites plus, bien sûr mais parce que l’orthographe, c’est quelque chose
d’extrêmement surveillé dans la fonction publique tout comme les
fonctionnaires sont extrêmement surveillés (c’est ce qu’on appelle le devoir
de réserve).
Eh bien, ni l’un ni l’autre.
Il n’y a aucun texte de loi qui dise que le fonctionnaire doit avoir une bonne
orthographe. Y a bien une légende, celle du décret de 1832. Mais ce fameux
décret, il a jamais existé que dans les têtes. Pareil pour le devoir de réserve
dans l’éducation nationale.
Y a aucun texte. Y a bien
un devoir de réserve dans l’armée, mais pas dans l’éducation nationale ;
c’est d’ailleurs la raison pour laquelle un ministre a dernièrement inclus un
entrefilet de loi dans lequel il précise que désormais il y a un devoir
d’exemplarité pour les profs (c’est parce que des profs avaient un peu
rechigné à sa réforme ; il aime pas que ses profs rechignent). Du coup le
devoir de réserve dans l’éducation nationale il a jamais existé que dans les
têtes aussi.
C’est assez troublant quand même, cette manie de s’inventer des lois qui
existent pas dans le droit et qui vont toutes dans le même sens de plus de
contraintes. Par exemple
(en tout cas dans l’éducation nationale) on se met jamais à fantasmer des
lois qui iraient vers plus de liberté ou plus d’égalité. On se fabrique son
petit droit en interne
qui fait jouer le martinet. Plus royaliste que le roi.
Plus dirigeant que l’État. Plus
administrant que l’institution.
Plus répressif que la
police.
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c’était l’imaginaire national, et bien sûr un imaginaire qui se pense
rationnel… enfin, non : raisonnable. On tâche tous
de tenir un milieu ; d’échapper à l’hybris.
Que ça déborde pas, je veux dire. Les personnels de l’éducation nationale
sont sans doute les plus aguerris à repérer le débordement possible, c’est-à-
dire à savoir que quel que soit l’état de stabilité ou de stase apparent d’un
moment, tout peut, d’un mot d’un geste ou d’un regard, partir brutalement
en vrille c’est-à-dire, et en considérant a priori les adolescents moins
comme une population spécifique que comme un âge précis qui ne clôt pas
à dix-huit ses désirs ses arbitraires mais en établit un répertoire décliné
ensuite plus poliment, que les personnels de l’éducation nationale ne
perdent jamais de vue et ont toujours conscience que tout
peut dans le pays partir en vrille d’un instant à l’autre et c’est la raison pour
laquelle ils font toujours deux choses à la fois : dicter une dictée ET guetter
; expliquer un théorème ET guetter ; raconter Louise Michel ET guetter ;
distribuer des copies ET guetter, etc. Faire toujours deux choses à la fois,
dont guetter. Avoir l’œil. Si on a un point commun avec les gendarmes
mobiles c’est celui-là. Il ne nous appartient pas de veiller à ce que chaque
élément prenne ou ait l’air de prendre plaisir à ce qu’il fait, c’est-à-dire soit
d’accord.
Je n’ai personnellement jamais connu de classe où il n’y ait pas de perte
sèche, d’élève qui s’ennuie depuis le début jusqu’à la fin sans relâche, la
moyenne sur un groupe standard de 25 étant de 5
(qui s’ennuient) avec certitude
de 10 supposés, de 5 passionnés
ou faussement désinvoltes + le reste. La constante c’est que la plupart, à un
degré plus ou moins élevé de conscience de ça, ne sont pas d’accord et
qu’on les laisse ne pas être d’accord, ce qui
est la grandeur du métier, et qu’on surveille ceux qui ne sont pas d’accord,
ce qui est moins la grandeur du métier. Le boulot de l’élève, c’est à peu près
ce que vous êtes en train de faire : lire du texte assis, mais assis sur une
chaise.
C’est la position. Bon.
Vous tenez combien de temps ? Il s’agit de tenir quatre heures le matin ;
trois heures l’après-midi.
On se sert de ses mains pour
tourner les pages, écrire, ouvrir une trousse. Ouvrir une trousse et fermer
une trousse, et ce moment intense de la fermeture éclair qui glisse bien à
l’aller et au retour.
Ouvrir une trousse. Fermer une trousse.
Ouvrir une trousse. Fermer une trousse. Ouvrir une trousse. Fermer une
trousse. Ouvrir une trousse. Fermer une trousse. Ouvrir une trousse. Fermer
une trousse.
Ou alors plier
scrupuleusement
un papier en quatre ou en six ou en huit et le glisser sous un pied de table
pour qu’elle ne branle pas. Ou alors mettre son doigt dans le trou qu’a
creusé quelqu’un au compas dans la table. Ou alors toucher du doigt le pull
de sa voisine, son coude pour qu’elle transmette. Ou alors démonter son
stylo. Dévisser le capuchon, ôter le ressort et la cartouche, poser le
capuchon, le ressort et la cartouche et le corps en plastique du stylo sur la
table et les faire rouler avec le doigt et puis tout remonter.
Détacher des bouts de gomme. Mettre sa main sur la fonte toute chaude du
radiateur. Passer son doigt sur un mot gravé dans la table, ça fait
une sensation. Fouiller dans sa trousse. Arracher des morceaux de papier
peint. Arracher des feuilles dans son classeur les rouler en boule. Déchirer
en petits morceaux une feuille et poser les petits morceaux sur la table. Fin
des travaux pratiques.
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C’était quand même assez bizarre, mais bon an
mal an, je me suis faite à ces nouveautés, notant juste qu’il y avait de
sacrées têtes dans cette classe des mômes qui, dans le Nord, auraient pu
directement passer le bac. Les premières réunions parents-profs avaient lieu
avant la Toussaint. J’ai disposé deux tables face à face, trois chaises d’un
côté, la mienne de l’autre, j’ai posé le carnet de notes sur la table et j’ai
attendu. Voilà que déboule une dame. Furieuse.
Que je donnais pas de devoirs. Qu’ils travaillaient pas assez. Que quel
avenir ils auraient. Que ça n’allait pas du tout. Qu’il allait falloir que je
revoie ma façon de faire. Et hop elle repart.
Elle m’avait retourné la tête. Pourtant j’en donnais, des devoirs. On
travaillait. Ça avançait. Je me suis dit qu’elle devait avoir des problèmes
personnels, cette dame, et je suis passée à autre chose. Ce n’est que bien
plus tard, des années après, que j’ai compris qu’elle n’avait pas de
problèmes personnels et qu’
elle avait juste exprimé de manière un peu vive ce que la plupart des parents
de la classe, trop polis pour le dire, devaient penser. Car leurs enfants
n’étaient pas des enfants d’agriculteurs, foyers ni petits commerçants,
destinés à devenir caristes coiffeuses, caissier, aide à la personne ou
reprendre la ferme : les parents visaient tous pour eux les classes prépa, et
j’étais bien placée pour savoir qu’une classe prépa, ça se prépare dès le
primaire ou à défaut dès le collège, et que la 3e est l’année décisive où vous
commencez à vous habituer à bosser comme un bourrin trois heures par soir
pour pouvoir enchaîner ensuite sans trop de surprise sur trois années de
lycée à bloc. Avant la prépa. La classe que j’avais eu pendant un an devant
moi, c’était une classe ghetto ; la meilleure 3e de toute ma carrière, sans
conteste. La crème de la crème.
Des futurs architectes, normaliens, énarques, profs de fac au pire. Et par un
de ces hasards bureaucratiques qui n’arrivent qu’en province, j’avais
décroché, alors que je débarquais du Maine-et-Loire par la grâce d’un
rapprochement de conjoint qui m’avait fait toucher le jackpot en
m’accordant 50 points de mute, la meilleure classe du meilleur bahut local,
de toute éternité destinée au prof préparé à les faire bosser trois heures par
soir rien qu’en français, et qui cette année-là avait dû bouffer de rage ses
copies en apprenant que quelqu’un lui avait
grillé la priorité sur le bahut dans lequel il comptait s’incruster. Les années
d’après, les choses sont revenues progressivement dans l’ordre. On a touillé
davantage, des très bons, des bons et des moins bons, mais l’établissement
s’est toujours distingué du second collège de la ville, à dix minutes à pied,
où étaient inscrits les gosses de la petite cité la seule. C’était bien trié dans
cette ville, et quand les parents ne voulaient pas du second bahut et
n’étaient pas contents du premier, ils mettaient dans le privé. Une grosse
dizaine d’années après mon arrivée, fin 2000, on a d’ailleurs construit un
lycée technologique qui a permis de déclasser
le lycée général où tout le monde allait ; comme ça on a pu formaliser les
trois étages : tout en bas le lycée pro ; au deuxième le vieux lycée général ;
et au sommet le nouveau lycée, pour les commerciaux les ingénieurs et tout.
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Le chef qui a voulu nous imposer des heures de trois quarts d’heure, c’était
un jeune, un jeune chef assez type, y a les mêmes un peu partout, privé-
public.
Je dirais : sémillant. À l’aise, en particulier avec les élus et toujours en
quête d’un papier dans la presse et comme ici y a que le journal local, y a
pas deux, trois quatre ou cinq journaux, y en a qu’un, et donc s’agit de
trouver chaque fois une idée différente pour être dans le journal. Peut-être
que c’est ça, d’ailleurs qui lui a donné l’idée des heures de trois quarts
d’heure : une innovation personnelle qui mérite bien un papier dans le
journal. Parce que c’était l’époque pas si lointaine où les chefs ont pu
commencer à essayer des trucs perso, organiser à son goût son
établissement, faire des heures d’une heure, ou bien de 55 minutes, 50, 45
ou même pourquoi pas 40
inviter Hewlett-Packard à venir faire de l’information sur les dangers
d’Internet, mettre au point des réunions marathons de toute une après-midi
pour nous demander notre avis sur les heures de trois quarts d’heure déjà
décidées
et tout un tas de choses déjà décidées par plus haut que lui dont je ne me
souviens plus du tout. Officiellement les heures de trois quarts d’heure, il
nous avait dit que c’était pour les élèves, parce qu’ils avaient du mal à se
concentrer plus de trois quarts d’heure. Mais en fait c’était pas plus de trois
quarts d’heure qu’ils avaient du mal à se concentrer, c’était pas plus de dix
minutes.
On allait quand même pas faire des heures de dix minutes. De toute façon,
dès qu’un chef ou le ministre disait que c’était pour les élèves, telle mesure,
c’est pas compliqué, c’est qu’y avait anguille sous roche. Donc on a
cherché l’anguille
et elle était pas difficile à choper.
On a calculé : des heures de trois quarts d’heure à raison de 2, 3 ou quatre
heures par classe, ça aboutissait qu’on aurait 1 ou 2 voire trois classes de
plus par semaine – autant de préparations, autant de copies. Et le jackpot :
qu’évidemment si les profs prenaient des classes en plus, on pouvait
supprimer des postes, car plus besoin d’autant de profs.
C’est quand même bizarre qu’une idée aussi simple et géniale n’ait pas déjà
été appliquée partout.
Ce résultat a rapidement tilté dans la tête de tout le monde et là, pour une
fois, on était tous d’accord : les heures de trois quarts d’heure, c’était niet.
Il en est devenu furibard, comme on s’y attendait. Quoi cette idée de génie
qui allait le propulser dans le journal local, les élus locaux, et dans sa
carrière qui allait peut-être lui permettre d’embrayer à moins de quarante
ans vers un lycée local, ou même un lycée de ville, ou même, qui sait, un
établissement pour l’élite, là où les mômes sont trilingues en 6e !
On a tenu bon.
Alors, ce qu’il a fait
et c’est drôle quand on y pense
je le résumerais comme suit : puisque vous voulez des heures bien pleines
des heures d’une heure
je vous sucre cinq minutes de vos récrés pour vous les faire, vos heures
d’une heure.
Il savait très bien ce qu’il faisait : les récrés duraient alors quinze minutes,
et c’était tout juste pour traverser la cour et arriver à la salle des profs, boire
un café, se poser un peu.
Avec des récrés de dix minutes
c’était plus possible.
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— La première réaction des gens, quand je dis que j’enseigne en collège,
c’est : Oh là là
comment vous faites ?! Et j’ai beau leur dire que bah, c’est pas si terrible
que ça, que ça dépend des bahuts, des classes, et surtout des moments de
l’année je vois bien qu’ils me croient pas ou plutôt qu’ils préfèrent croire ce
qu’ils voient sur Internet ou à la télé.
Je suppose qu’ils pensent que me voilà devant des classes de trente Arabes
qui foutent le bordel et refusent de manger du porc à la cantine. Attention je
ne vais pas nier que l’âge du collège, entre onze et quinze ans, est spécial.
On l’a tous vécu et on sait très bien que c’est spécial ; seulement avec le
temps, on a tendance à sous-estimer le degré de spécial que ça peut
atteindre, on a tendance à oublier que pendant que nous on vit, de gré ou de
force, dans BFM bizness, eux ils vivent dans Tolkien. Un truc que j’ai
compris sur le tard c’est la force du transfert au collège : c’est spiralaire et
alors ça n’arrête pas de faire le grand huit. Bref ça transfère sans cesse et
dans tous les sens (d’où les chouchous, entre autres). Le prof transfère
toujours à fond sur un ou deux mômes, soit parce qu’il est bon, soit parce
qu’il est nul, et il s’enferre dans ce transfert. Il peut s’y enferrer toute
l’année et déborder sur l’année suivante même s’il a pas le môme, d’où les
trois cent cinquante lignes pour le lendemain ou les heures de colle toutes
les semaines le mercredi après-midi ou
tout simplement les punchlines en plein cours, les remarques blessantes, les
ironies, ou au contraire les compliments à n’en plus finir – et que je
t’astique dans un sens ou dans l’autre.
Je me souviens d’une année où je transférais sur un môme sans m’en
apercevoir, naturellement, juste qu’il m’obsédait un poil plus que les autres
et que j’avais l’impression qu’il me cherchait, alors que je le cherchais tout
autant ; jusqu’à ce que je réalise qu’il portait le même prénom que mon ex
à une lettre près ; du coup, tout s’est débloqué et on a pu terminer l’année
tranquilles, lui et moi.
Que l’enfant soit devenu le cœur de quelque chose c’est bien la preuve
admise par tous que la vie des adultes est de merde mais aussi que le boulot
d’enseignant est secrètement détesté-envié
parce que c’est l’école qui a accès au stock d’enfants.
C’est l’école qui dérobe vite fait leurs enfants aux gens, dès trois ans, et si
ça pouvait être plus tôt on le ferait, et chacun sait d’expérience que le rêve
de la plupart des parents est de ne pas être séparé. Mais l’école vend dès
trois ans un boulot dans vingt ans. Ça fait trente ans que je vampirise la
vitalité des mômes qui me
comme on dit sont confiés ; c’est la seule raison pour laquelle à quarante
ans j’en faisais
trente et à cinquante quarante.
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L’autre jour
le secondaire est à deux doigts de rendre l’âme et on se retrouve à sept sur
soixante en HVS
(Heure de Vie Syndicale) pour en parler. Je jubile.
Y a toujours un bref moment de jubilation en interne (Schadenfreude)
quand je constate l’écart éléphantesque entre la gravité du cours des choses
et l’absence apparente de réaction. Est-ce que c’est pour nous signifier qu’
ils en ont marre du groupuscule de gauchistes qui annoncent les mauvaises
nouvelles parce que par-dessus tout ils en ont marre des mauvaises
nouvelles ? Est-ce qu’en collège ça les concerne pas et qu’ils voient pas
pourquoi ils s’occuperaient de ce qui se passe au lycée vu qu’ils ont pas
l’intention d’aller en lycée ? Est-ce que c’est parce que pour leurs gosses à
eux tout baigne donc y a pas le feu ?
Est-ce que c’est parce que pour eux tout roule donc y a pas le feu ? Est-ce
que c’est parce qu’ils font leur part et qu’ils ont toujours fait leur part (la
part du colibri) ?
L’histoire
du colibri
c’est qu’y a un gros incendie dans une ferme, bref ça crame
et à ce moment un colibri arrive avec un petit seau dans son bec et verse
de l’eau sur l’incendie
eh bien si tous les colibris se mettent à verser de l’eau avec leurs petits
seaux l’incendie finira bien par s’éteindre (personnellement, je préfère
Gulliver qui pisse sur le château en flammes des Lilliputiens).
Est-ce que c’est parce qu’ils se tapent déjà un stock d’
heures supplémentaires pour joindre les deux bouts ou combler le manque à
gagner pour régler une troisième semaine de location en Bretagne et que du
coup ils sont trop crevés pour se pencher sur quelque question que ce soit ?
Est-ce que c’est parce que c’est chiant ?
Souvent
je me dis que c’est à la perspective de l’ennui qu’engendrent ces
discussions techniques autour de la répartition horaire blocs horaires blocs
horaires provisoires
postes supprimés, partagés, heures de labo transformation des options, tours
de passe-passe dans les cotisations, calculs et re-calculs, soustractions,
additions divisions, multiplications, crédits, débits, tableaux à une entrée,
deux entrées, trois entrées loi, décret, décret-loi, quelle
chierie
quelle titanesque chierie – rentre plutôt chez toi te manger le reste de poulet
basquaise, c’est ce que je me dis cependant que la joie que provoque la
constatation du fait que nous sommes sept en HVS l’emporte : elle induit
que si nous devons partir d’un point d’incandescence, ce n’est pas de là que
nous partirons
et ça fait une hésitation en moins.
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Un jour
je ne sais plus quand ni comment ni pourquoi j’ai téléphoné à une Française
qui voulait des cours de français pour son fils français. En principe, j’évitais
les Français. Les fréquenter à l’étranger, ça me faisait l’effet de coucher
avec mon frère, c’était dégoûtant.
La Française en question était sans surprise la femme d’un type qui bossait
à l’ambassade une Ferrero-Rocher. Je me souviendrai toujours de la
descente vers leur garage toute tapissée d’azulejos (comme si votre chasse
d’eau était plaquée or). Elle, elle déambulait dans les étages très bien
habillée. Le fils, douze ou treize ans, était opaque. Je n’ai jamais su s’il
écoutait ce que je racontais ou s’il s’ennuyait et s’il attendait que ça se
passe. Comme si ça transférait pas. Par contre avec la mère, ça transférait à
fond, surtout de son côté.
Au bout de trois semaines, elle m’a demandé si ça m’intéressait, une
chambre chez eux, comme ça je pourrais mieux suivre son fils, etc. – la
chambre, gratis. Dans ces cas-là
et ça m’est arrivé plusieurs fois
je pense toujours à Chabrol.
Je sens de suite la bourgeoise prédatrice ; ça m’ennuie d’utiliser ce mot
pour un être humain mais je ne sais pas comment dire autrement la vision
de moi lentement sucée, et j’ajoute que ça peut aussi bien être une maison
que j’ai déjà senti ça dans une maison, une sorte de sixième sens qui te fait
comprendre que cette grande baraque n’a qu’une idée en tête : te faire
disparaître à jamais dans la cave ou dans les combles.
Les familles de prolos ou d’anciens prolos sentent tout de suite ça, quand ils
sont en contact avec la vraie bourgeoisie. Bref, à peine elle m’avait proposé
le fils et la chambre que j’ai dit non : je voulais pas faire domestique et
j’avais peur. Du coup elle a tout arrêté.
On pouvait pas lui dire non, je suppose. J’ai terminé l’année scolaire et puis
j’ai demandé ma réintégration et rempli des vœux pour l’un des coins les
plus terribles de France, après la Guyane : le Maine-et-Loire.
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Cette histoire
elle avait commencé avec l’idée de la note de vie scolaire (c’est fou, quand
on y pense, le nombre d’
idées qui ont pu être balancées dans l’éducation nationale en moins de
quinze ans). La note de vie-sco c’était un truc à moitié au pif qu’on ajoutait
sur le bulletin, en bas. En gros
tout le monde avait 18 (suffisait de pas trop se faire remarquer mais la
perfection n’est pas de ce monde) sauf les emmerdeurs. Ceux-là
on leur balançait un 08 dans les dents et comme en général ailleurs ça
n’allait pas mieux ça leur faisait encore un peu plus baisser la moyenne.
Ça n’a l’air de rien, mais en 3e, ça devenait critique. Pourquoi ?
(comme disait Balzac).
Parce qu’à partir du moment où tout a été « informatisé »
ça risquait de niquer leur choix d’orientation.
Au mois de juin, les résultats des 3es étaient rentrés dans l’ordi, avec leurs
vœux d’orientation, et en gros, la machine te recrachait ton affectation.
T’as été chiant ? C’est parti pour le CAP fleuriste (on prenait beaucoup
l’exemple du CAP fleuriste par chez nous parce qu’y avait pas beaucoup de
CAP
que les chieurs étaient souvent des garçons, et qu’on pensait que ça leur
foutrait la honte d’aller en CAP fleuriste). Avant l’informatisation tous
azimuts, ça arrivait aux chefs d’établissement de passer un coup de fil au
collègue s’il manquait un demi-point. Grâce aux ordis, si t’avais 09,5
au lieu de 10, t’étais bon pour le CAP fleuriste.
Je me souviens qu’un des premiers logiciels pour ce genre d’opération
s’appelait « Yaka ». C’est dingue quand on y pense
à quel point ils ont pu se foutre de nous nous tous
les mômes comme les adultes
et sans s’en rendre compte, même, comme ça naturellement ça leur vient, de
se foutre de nous.
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La tête des parents quand tu leur annonces que pour leur môme une prépa
pro ce serait le mieux. Ta gêne quand tu dois leur annoncer que pour leur
môme une prépa pro ce serait le mieux. Fleuriste, cariste, coiffeuse,
maintenance, menuiserie, gestion-administration, aide à la personne. Neuf
ans de galère avant de pouvoir toucher du bois. La tête de la môme quand
elle dit gentiment que oui, aide à la personne, c’est ce qu’elle veut faire. Ah
non, lui il est trop petit ; trop gringalet ; trop à l’ouest ; faut trouver autre
chose.
Maison Familiale et Rurale. MFR Maison Familiale et Rurale. Y a des
animaux. Neuf ans de galère avant de pouvoir caresser autre chose que la
fermeture éclair d’une trousse. Le lycée pro. Métal, bois, bruit et saleté ;
gros costauds, grosses filles.
La MFR, moutons, campagne, gentil.
Le lycée général, normal. – Mon fils
ma fille, n’ira pas chez les anormaux.
— Allons madame, il va falloir être raisonnable.
Dernièrement
y a deux trois bouquins qui sont sortis sur la nécessité de comme on dit
réhabiliter le travail manuel.
Ils ont été écrits par un Américain.
C’est pas à un Français que l’idée serait venue.
Depuis que j’ai commencé prof, la part du « manuel »
n’a fait que régresser. Les rares cours où on pouvait encore construire
quelque chose de ses mains, comme la technologie, ont fini de se dessécher
avec l’arrivée du numérique.
Tout est stérilisé.
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