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Citation de MegGomar


— La première réaction des gens, quand je dis que j’enseigne en collège,
c’est : Oh là là
comment vous faites ?! Et j’ai beau leur dire que bah, c’est pas si terrible
que ça, que ça dépend des bahuts, des classes, et surtout des moments de
l’année je vois bien qu’ils me croient pas ou plutôt qu’ils préfèrent croire ce
qu’ils voient sur Internet ou à la télé.
Je suppose qu’ils pensent que me voilà devant des classes de trente Arabes
qui foutent le bordel et refusent de manger du porc à la cantine. Attention je
ne vais pas nier que l’âge du collège, entre onze et quinze ans, est spécial.
On l’a tous vécu et on sait très bien que c’est spécial ; seulement avec le
temps, on a tendance à sous-estimer le degré de spécial que ça peut
atteindre, on a tendance à oublier que pendant que nous on vit, de gré ou de
force, dans BFM bizness, eux ils vivent dans Tolkien. Un truc que j’ai
compris sur le tard c’est la force du transfert au collège : c’est spiralaire et
alors ça n’arrête pas de faire le grand huit. Bref ça transfère sans cesse et
dans tous les sens (d’où les chouchous, entre autres). Le prof transfère
toujours à fond sur un ou deux mômes, soit parce qu’il est bon, soit parce
qu’il est nul, et il s’enferre dans ce transfert. Il peut s’y enferrer toute
l’année et déborder sur l’année suivante même s’il a pas le môme, d’où les
trois cent cinquante lignes pour le lendemain ou les heures de colle toutes
les semaines le mercredi après-midi ou
tout simplement les punchlines en plein cours, les remarques blessantes, les
ironies, ou au contraire les compliments à n’en plus finir – et que je
t’astique dans un sens ou dans l’autre.
Je me souviens d’une année où je transférais sur un môme sans m’en
apercevoir, naturellement, juste qu’il m’obsédait un poil plus que les autres
et que j’avais l’impression qu’il me cherchait, alors que je le cherchais tout
autant ; jusqu’à ce que je réalise qu’il portait le même prénom que mon ex
à une lettre près ; du coup, tout s’est débloqué et on a pu terminer l’année
tranquilles, lui et moi.
Que l’enfant soit devenu le cœur de quelque chose c’est bien la preuve
admise par tous que la vie des adultes est de merde mais aussi que le boulot
d’enseignant est secrètement détesté-envié
parce que c’est l’école qui a accès au stock d’enfants.
C’est l’école qui dérobe vite fait leurs enfants aux gens, dès trois ans, et si
ça pouvait être plus tôt on le ferait, et chacun sait d’expérience que le rêve
de la plupart des parents est de ne pas être séparé. Mais l’école vend dès
trois ans un boulot dans vingt ans. Ça fait trente ans que je vampirise la
vitalité des mômes qui me
comme on dit sont confiés ; c’est la seule raison pour laquelle à quarante
ans j’en faisais
trente et à cinquante quarante.
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