Nicolas Bourcier

« Pouvez-vous imaginer un instant des Allemands se dirigeant vers vous et vous donnant l’ordre de venir avec eux ? Qui pourrait refuser cela ? Des Allemands qui vous offrent de collaborer, qui était en mesure de refuser cela ? C’était la guerre. ».

La justice allemande vient de signifier aux générations futures que l’imprescriptibilité des crimes de masse était une réalité. Qu’une personne est responsable des ordres qu’elle exécute et que, tôt ou tard, même plusieurs dizaines d’années après, elle aura à en répondre. [...] Et peu importe si ce procès de Munich clôt l’histoire des châtiments d’après-guerre aux dépens d’un « exécutant médiocre ». Avec lui, les juges allemands ont montré que même au pays des bourreaux, le passé est en mesure de rattraper quiconque, où qu’il se trouve.

"Un payse ne se montre bien que lorsqu'il exagère" écrit Charles Vanhecke. Pour comprendre l'Amazonie, il faut la chercher dans sa masse. Entrer dans cette Sibérie tropicale qui s'étend au-delà des chaînes de montagnes côtières et des vastes plaines du centre brésilien. Dans cet espace sans vertèbres, articulé seulement par les fleuves, la Nature "ne répond à une question que tous les mille kilomètres". Parfois un peu plus. Ici, dans cette extrême pointe nord-ouest du Brésil, où les frontières avec la Colombie et le Venezuela ne sont plus qu'une vue de l'esprit, les avancées brutales des latifundio d'élevage qui expulsent de leurs lopins traditionnels les paysans aux sourires sans dents paraissent loin. Nul barrage à l'horizon. Aucune route. Pendant des jours, les paysages se ressemblent, forêt primaire ou secondaire où la répétition de l'arbre ne s'interrompt que très rarement pour celle d'un micropâturage.
D'ici, l'Amazonie renvoie l'image d'un vaste espace uniforme, une sorte de lointain intérieur qui joue le même spectacle d'un bout à l'autre de la forêt.

Encore aujourd'hui, je me demande comme une telle entreprise fut possible sans qu'aucun d'entre nous n'ait été alerté. J'ai été extrêmement perturbé, et je le suis encore, d'avoir ainsi passé autant d'années à quelques mètres du Führer et de n'avoir rien entendu ni saisi quoi que ce soit sur le sujet, excepté cette dépêche évoquant la Croix-Rouge et le comte Folke Bernadotte. Hitler était mon chef. Je l'observais pratiquement tous les jours et je n'ai rien vu. En tout cas, je ne l'ai pas vécu en tant que meurtrier. Avec moi, il s'est montré gentil et attentionné.
Je ne me sens pas coupable. J'ai fait mon travail sans blesser la moindre personne. Je n'ai pas tiré le moindre coup de feu pendant toute cette guerre. Je ne regrette rien. Dire le contraire ne serait pas honnête J'ai fait mon devoir en tant que soldat comme des millions d'autres Allemands. J'ai suivi, et j'estime avoir payé avec mes neuf années d'emprisonnement en URSS.

Mish, lui aussi, se trouvait au coeur de toutes les informations qui parvenaient à la tête de l'Etat nazi. Mais il n'a rien vu ou voulu voir. Il n'a rien su parce qu'il a détourné les yeux. Pas question, même aujourd'hui, d'admettre qu'Hitler est un meurtrier. Impossible pour lui d'accepter une quelconque culpabilité. "C'était mon chef, explique-t-il. Avec moi, il était attentionné et gentil."

C'est en l'écoutant aujourd'hui, avec ses faiblesses, ses moments de silence, son absence vertigineuse de doute et de remise en question que l'on mesure comment le nazisme a pu s'installer et se développer, comment un Hitler a pu séduire les foules et son entourage.

Un monstre d'innocence et d'aveuglement.