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Citation de AKARENINE


Alors, dans son imagination d'affamé se dessinait avec envie le sort du peintre riche ; alors une idée lui venait, une idée qui souvent passe par la tête d'un russe : tout planter là pour noyer son chagrin dans l'ivresse et la débauche. 

Son propriétaire entra, accompagné du commissaire de quartier, dont l'apparition est, comme nul ne l'ignore, encore plus désagréable aux gens de peu que ne l'est aux gens riches le visage d'un solliciteur....c'était une créature comme il y en a beaucoup en Russie et dont le caractère est aussi difficile à définir que la couleur d'une redingote usée.

Dans sa jeunesse, il avait été capitaine et grand brailleur, il avait aussi servi dans le civil ; grand fustigeur, débrouillard, mirliflore et sot, mais, dans sa vieillesse, toutes ces rudes particularités s'étaient fondues en une sorte de morne ensemble indécis.

Il était déjà veuf, il était déjà retraité, il ne faisait plus le fendant, ni le vantard, ni le provocateur; il n'aimait qu'à prendre le thé en débitant toutes sortes de fadaises; ponctuellement, au terme de chaque mois, il s'en allait chez ses locataires chercher son argent; il sortait dans la rue, sa clef à la main, pour examiner le toit de sa maison; bref, c'était un homme à la retraite qui, après avoir jeté sa gourme et passablement roulé sa bosse, ne gardait plus que de mesquines habitudes. 

Une foule de voitures, landaus, calèches, stationnait devant l'entrée de l'immeuble où l'on vendait aux enchères les collections d'un de ces riches amateurs d'art qui somnolaient paisiblement toute leur vie, submergés sous les Zéphyrs et les Amours, qui jouissaient en toute candeur du titre de mécènes, et dépensaient ingénument les millions amassés par leurs ancêtres, voire souvent par leurs propres efforts au temps de leur jeunesse. Ces mécènes-là, comme on sait, n'existent plus aujourd'hui et notre XIXe siècle a depuis longtemps pris la fâcheuse figure d'un banquier, qui ne jouit de ses millions que sous forme de chiffres alignés sur le papier. 

Après les gros bonnets et l'aristocratie de Kolomna vient l'extraordinaire menu fretin.Il est aussi difficile de l'énumérer que de dénombrer les innombrables insectes qui pullulent dans du vieux vinaigre. Il y a là des vieilles qui prient, des vieilles qui s'enivrent ; des vieilles qui prient et qui s'enivrent à la fois ; des vieilles enfin qui joignent Dieu sait comment les deux bouts ; comme des fourmis, elles traînent de vieilles guenilles et du vieux linge, du pont Kalinkine jusqu'au carreau des fripiers, et le vendent là-bas pour quinze kopecks. Bref, la lie de l'humanité, souvent la plus misérable, dont le plus charitable des économistes ne pourrait trouver le moyen d'améliorer la situation. Je vous les ai cités pour vous montrer la nécessité où ils se trouvent bien souvent de chercher un secours subit, temporaire, et de recourir aux emprunts ; et alors s'installent parmi eux des usuriers d'une espèce particulière, qui leur prêtent sur gages de petites sommes à gros intérêts.
Ces petits usuriers-là sont encore bien plus insensibles que les grands parce qu'ils surgissent dans la pauvreté, parmi les haillons de la misère étalés au grand jour, et que l'usurier riche ne voit pas car il n'a affaire qu'à ceux qui roulent carrosse. Et c'est pourquoi tout sentiment humain meurt prématurément dans leur cœur. 
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