Citations de Normand de Bellefeuille (24)
je suis un rêveur qui se sait rêver
et un lecteur qui se voit lire
il n’y a qu’en amour
que je me perds
vraiment
de vue
on ne sait pas encore
à quel point le bruit
véritable
est
lent
à quel point
comme le poème
il a depuis longtemps
choisi la lenteur
dans un monde de vitesse
la lenteur est une stratégie
imparable
tu verras bien
Je t’avais attendue
mais jusque-là sans douleur
j’attendais aussi le poème véritable
tu me l’as donné
alors désormais je me tais
je te laisse ma dernière lumière
tu éteindras
tu m’embrasseras en quittant
car tu étais, depuis longtemps,
mon imprévisible douleur
et demain
mon silence malheureux
tu es la consolante, le repos, le retour
tu es le bruit fait chant
la chute faite danse
la plainte, oraison
et l’armure, la plus totale nudité
je te regarde
et tout devient un mystérieux
silencieux visage
Il n’y a jamais de
mais
en amour
heureusement
il y a encore des mots
proscrits
vivons donc
avec tous les autres
Il me plaît de penser
que la mort ressemble
à la fausse précision de la mort
ou des épis
ou bien alors
à l'intérieur des oiseaux
et il me plaît d'imaginer
l'intérieur des oiseaux
cette bijouterie
comme une dernière clarté
Le poème n’est pas une stratégie du matin
je ne t’aurai séduite que le temps
de la respiration
et du cœur
retourné
tu auras été
ma maladresse absolue
Le matin n’est pas toujours
le lever du jour
et parfois même sa négation
l’impossible lendemain
je le savais déjà
j’ai simplement pris le risque
ultime
il existe toujous des corps réels
bruyants
survivants
sans chimères ni résurrection
à la clef
il existe encore des corps
sans gloire ni auréole
bruyants
survivants
dans l'arrachement vif à l'imbécilité
des clochers, des vêpres et angélus divers
et
il existe ton corps
bruyant
survivant
à toutes les machines
de ta mort
pourtant annoncée
La parole amoureuse est un dimanche
un dimanche
la parole amoureuse est un dimanche
sans aucun souci de soi-même
une miniature
en langue
la parole amoureuse est sans impatience
elle a tout son temps de parole amoureuse
elle est le repos qui nous vient
enfin
elle nous donne un véritable nom
nous fait aimer le dimanche
malgré les cloches
et malgré la fausse courtoisie de Dieu
la parole amoureuse
ne recommence pas of course le monde
ni ne le désencombre tout à fait
la parole amoureuse
dans sa robe, nous accompagne à la fête
et sa robe est la fête, déjà la fête
la figure reine et tous les pays étrangers
la parole amoureuse est chaque fois
la première fois de mourir
la première fois des paupières baissées
la première fois cette rencontre de blessure et de force
certains disent guérison
je dis simplement :
la parole amoureuse est l’intelligence parfaite
la Hollande du Grand Nord
la parole amoureuse
c’est sept fois un jour
et une année tout entière
Je fais tapage…
Je fais tapage
échevelé de mots inlassables
définitifs
je fais tapage de mots légués
par les lèvres de tant
d’amoureux dont la langue
est tombée à force de
répétition
je fais tapage
mais conjugue mon tapage
jusqu’à ce que
tapage et chant
s’accompagnent
en un seul désespoir
attention : visage !
je suis redevable au réel
de me permettre la poésie
ça se dit comme ça
la poésie doit rendre des comptes au réel
ça se dit comme ça
voilà :
c’est fait
l'impossible expérience de la mort
mais il faut tout de même
compter avec la mort
étrange décompte évidemment
que celui de l'ombre absolue
et en ce sens
la mer n'est jamais bien loin
mime et masque
tout comme le poème
est le clair-obscur du sens
sa célébration et son meurtre
oraison et cri, à la fois
faire cohabiter
la mer et la mort
c'est un peu
comme avoir écrit
jadis
heureusement qu'il y a la guerre
c'est-à-dire :
INTOLÉRABLE
J'habite une montagne
j'habite une montagne en mon secret
qui tantôt gronde, crache
et se fait volcan
tantôt s'apaise en chant de jeune fille
une montagne du bout du monde
en mon secret
une montagne, vraie
mais sans encombrement
légère
cette montagne en mon secret
une montagne
de l'autre côté de mon corps
et une montagne, croyez-moi
est un étrange accompagnement
en son secret
aussi il arrive que je lui cède
toute la scène
en mon secret
puis j'écoute
plus calme
son chant de jeune fille
Il y aurait
dit-on
un graffiti décrétant:
«devant l'indifférence générale
demain est annulé»
j'en ignore l'édifice
et j'en ignore
le mur
mais depuis
chaque matin
j'ai peur
Le poème n'est-il que contrebande grammaticale?
Je ne me souvenais plus
ce matin-là
de ton visage
j’étais certainement mort
la nuit précédente
encore aurait-il fallu
que je m’en rende compte
Laisse-moi te parler du cœur…
Laisse-moi te parler du cœur
le cœur n'est pas ce que tu crois
qu'une croix au milieu des fleurs
deux fleurs, tristes poumons étroits
Car ce cœur-là dont je te cause
l'oiseau, la caille, le petit rat
mourant, touche-le si tu oses
ce cœur, parole, te répondra
Laisse-moi te parler du cœur
qu'on attend plus, qu'on entend pas
qui ne bat pas toujours à l'heure
ni ne se laisse mettre au pas
Dans sa caverne aux couleurs tendres
hésite, tousse tousse et cogne
ce cœur que je voudrais te tendre
caché dans ma poitrine borgne
Laisse-moi te parler du cœur
avec trois mots et quelques larmes
ce cœur n'est plus qu'un déserteur
piégé entre l'esprit et l'âme
Ce cœur-là malgré le râle
malgré les ratés du batteur
malgré le voile, les veines pâles
que je chante avec ma peur
Laisse-moi te parler du cœur
mais oublies-en l'ultime danse
invente plutôt le bonheur
invente ma dernière chance
N'écoute plus, ouvre le cœur
avec tes doigts, avec ta langue
l'oiseau, la caille, et cette odeur
de tout ton corps qui tangue, tangue
il arrive pourtant que ton visage
me donne une idée de mon être
et de ce que tu fus en moi
de tous les moments de ta beauté
que j’ai connue dans l’immortalité
il arrive en effet que ce visage
soit le symptôme final
de la supercherie du paradis perdu
le visage authentique de l’amour
n’exige aucun renoncement
car s’il n’est peut-être pas vraiment possible
il n’en demeure pas moins permis