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Citation de Cannetille


Paris, au milieu du dix-neuvième siècle, n’est pas la plus grande ville du monde ni la plus peuplée, avec son million d’habitants. Ce n’est pas la plus moderne, ce n’est pas celle de l’éclairage au gaz, ni des chemins de fer, ni des parcs urbains : tout ça, c’est Londres. Pour le Balzac de La Fille aux yeux d’or, c’est « la tête du globe, un cerveau qui crève de génie et conduit la civilisation humaine », « un sublime vaisseau chargé d’intelligence ». Si l’on en juge par les photos que Marville prit avant et pendant le grand ratiboisage haussmannien, c’est aussi, et plus prosaïquement, la ville des débits de boissons : incroyable le nombre d’écriteaux annonçant vins en bouteilles, commerce de vins, vins au litre, vins & liqueurs, vins en gros, vins en gros et en détail, et autres appels à la soif blasonnant en grandes lettres peintes les murs noirs de rues que creuse un caniveau central, où tombereaux brancards en l’air et fiacres attelés à de patients chevaux stationnent sur les pavés rebondis qui font au pied des maisons un maillage de lumière et d’ombre (quelquefois, sur une photo, une de la rue des Gravilliers par exemple, le temps de pose a fait d’un fiacre un fantôme, qui est comme le passé venant nous visiter en songe). Mais Paris, au milieu du dix-neuvième siècle, c’est surtout la capitale des insurrections et des barricades. Les barricades sont vraiment une spécialité parisienne. Dans aucune autre capitale d’Europe on ne dépave la rue pour attendre stoïquement, derrière ce rempart de fortune, les fusils du gouvernement. « Les 4 054 barricades des “Trois Glorieuses” comptaient 8 125 000 pavés », selon un texte cité par Walter Benjamin. Combien de dizaines de millions de pavés déchaussés et entassés fiévreusement, joyeusement, en travers des rues parisiennes, depuis les trois journées de juillet 1830 et leurs 4 054 barricades qui en finirent avec la monarchie absolue ? Il y a eu (au moins) le soulèvement de juin 1832 à l’occasion des obsèques du général Lamarque, qui est celui où meurt Gavroche, celui d’avril 1834 qui finit par le massacre de la rue Transnonain que lithographia Daumier, la tentative d’insurrection blanquiste de mai 1839, la révolution de février 1848 qui bazarda une fois pour toutes la royauté, fût-elle bourgeoise, les journées de Juin de la même année, et enfin les trois jours de la résistance au coup d’État du prince-président Louis Napoléon Bonaparte, les 3, 4 et 5 décembre 1851, qu’illustre, notamment, l’hallucinante tournée nocturne dans le quartier des Halles racontée par Hugo dans Histoire d’un crime. (Lorsque nous dépavions les rues du Quartier latin en mai 1968, nous avions sans doute une vague conscience de cette histoire dont nous étions le dernier balbutiement, mais bien imprécise et ignorante – je parle pour moi. Les « autorités », comme on dit – quel mot ! – en avaient sans doute une connaissance plus exacte, ou au moins plus fonctionnelle, puisqu’elles firent bientôt disparaître sous le goudron les pavés qui rappelaient encore un peu les rues du dangereux Paris d’antan.)
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