J’avance péniblement sur le chemin, songeant que la lenteur peut être une vertu. Comme l’immobilité. Quand on s’arrête, on voit le monde autrement. La vie des autres acquiert un relief qu’elle n’avait pas avant, même le paysage change quand on ralentit. Progressivement on y trouve sa place, on en fait partie. La marche est un dialogue avec l’extérieur, où les autres cessent d’être un décor.
Tout est trou. Le corps, le temps, l’espace, découpé, fragmenté, traversé, déchiré. On passe d’un plan à un autre, on traverse le sol, les murs – puis plus, quand la porte est redevenue mur, quand elle s’est fondue dedans, redevenue imperceptible, infranchissable. C’est qu’avant d’être porte la porte était mur, et n’étant jamais sûre de ne pas devoir rejoindre son passé, il se peut que la brèche redevienne chemin sans issue, impasse. On ne traverse pas l’espace sans traverser le temps, on enjambe des générations, on survole des époques : foudroiement, pétrification. L’histoire est convoquée, actualisée, pulvérisée. Tout est poussière, tout est suie. Une condition semble être au cœur de tous ces phénomènes : l’amnésie, volontaire ou non, parfois pratiquée sur l’esprit rebelle qu’on cherche à décerveler.
Le monde de Volodine est plongé dans un état de profond délabrement mais il n’est pas avare, des trésors gisent sous les gravats, des beautés sommeillent sous les toiles d’araignée. L’amour côtoie la mort et y resplendit d’autant plus que sa flamme est éphémère, un éclair ou un flash. C’est juste qu’il y a beaucoup de méchants qui empêchent de vivre. C’est vrai aussi que la lutte y est désespérée. Les chamans ont encore du pouvoir mais ils n’ont pas les moyens de vaincre le mal. Le mal prospère, comme dans le vrai monde. Et c’est pourquoi après avoir été classés en science-fiction, les livres de Volodine ont rejoint la littérature dite « générale ». On s’est aperçu que c’était vrai, que l’autre monde c’était là, ici où je me tiens. L’auteur n’en continue pas moins de se démarquer de ses confrères. Dans le paysage littéraire européen, Volodine est à part. Son œuvre brille d’un éclat qui fait le vide autour. Ou la nuit. Seule une masse informe recouverte de suie s’agite dans un recoin. Nous y sommes. C’est cela Volodine, la noirceur élevée au rang de vision, d’expérience, de puissance et de vie.
Penser est une forme de jardinage, de binage. On retourne la terre et l'on découvre d'infinies formes de vie grouillantes et remuantes