La façon dont ils s’étaient retrouvés nus dans son lit était assez floue pour Alysa, mais le souvenir de leur étreinte était, lui, bien vivace.
Aussi honteux de rompre son vœu de chasteté qu’empressé d’assouvir son besoin naturel d’humain, le père Falque s’était montré maladroit comme un adolescent.
Alors, elle l’avait stoppé dans son élan et pris l’initiative. Lentement, elle l’avait chevauché et emmené jusqu’à l’extase.
Si cela n’avait tenu qu’à lui, il aurait préféré rester encore un peu dans ce cocon feutré et aseptisé de l’hôpital. Il pouvait ainsi se reposer. Se laisser aller à dormir, profondément. Dormir, pour endiguer le tsunami qui déferle dans sa tête. Brisant tout sur son passage. Catapultant tous ses repères, ses certitudes, ses sentiments et ressentiments. Pourquoi ce fantôme revient-il le torturer ?
Elle se souvint même d’un rêve très sympa. Coupe de champagne à la main, un homme la faisait danser et virevolter. Il la soulevait et la déposait sur un lit recouvert d’une fourrure blanche. L’homme en smoking, genre James Bond, mais avec un visage étrange, se penchait pour l’embrasser tendrement. Difficile de dire s’il ressemblait plus au chirurgien homo l’ayant soignée ou à ce prêtre au regard innocent et craquant.
Symbole, dans les deux cas, d’un amour impossible.
Elle s’était toujours sentie très proche de cet homme lui ayant servi de père de substitution. C’est à lui qu’elle confiait ses secrets, ses joies, ses angoisses. C’est lui qui l’avait soutenue, une quinzaine d’années auparavant, lorsqu’elle avait choisi d’entrer dans la police, malgré la désapprobation de sa grand-mère. Celle qu’elle appelait Mouna lui avait reproché plus tard de vouloir simplement imiter ou copier sa mère.
On se ressemblait énormément et on était très complices, mais il y avait certainement des différences que je ne voyais pas. Pourtant, je crois que cela vient d’autre chose. Quand Aubin a disparu, nous avons eu une discussion un peu houleuse avec ma mère. Je lui ai reproché son manque d’amour envers mon frère. J’ai dû insister pour qu’elle m’avoue pourquoi. Elle avait été furieuse d’apprendre qu’elle attendait des jumeaux. Le fait d’être enceinte ne lui plaisait déjà pas, alors imaginez, deux d’un coup. J’ai eu de la chance, je suis né le premier. Aubin a eu la malchance d’arriver en deuxième et la très mauvaise idée de se présenter par le siège. Ma mère lui en voulut de lui avoir fait souffrir le martyre durant des heures et des heures. C’est complètement idiot, Aubin n’y était pour rien. C’est la nature humaine. Que peut-on y faire ? C’était comme s’il savait qu’il ne serait pas aimé et qu’il refusait de sortir.
Ces drôles de nanas n’acceptant jamais les avances d’un mec, ne racolant jamais, ne leur faisaient finalement aucune concurrence. Des amitiés avaient même fini par naître avec ces esclaves du sexe. L’une d’elles suggéra qu’il s’agissait probablement de journalistes enquêtant sur le plus vieux métier du monde.
Le ciel est si noir, si bas, qu’il semble, telle une méduse méphistophélique, avaler les toits de Paris, les arbres, et même les péniches glissant mollement sur la Seine. Et toujours pas de pluie ! Seules des myriades d’éclairs au-dessus de la masse nuageuse semblent lui donner vie.
On ne peut pas revenir sur le passé, ce qui est fait ne peut plus être changé, malheureusement.
Six ans plus tôt, le commissaire Lawrence l’avait prise sous son aile pour lui faire gravir les échelons. Pas parce qu’elle était belle et charmante, mais parce que professionnellement, c’était probablement la meilleure de son groupe. Trois semaines auparavant, elle en a une fois de plus fait la preuve. Grâce à sa pugnacité, Stanislas Lawrence ne laissera pas cette casserole à son successeur. C’est elle qui a réussi à serrer le Lituanien Angel Vulpescu, celui que les médias surnomment l’Éventreur. Ce serial-killer écumant et terrorisant impunément le bois de Boulogne depuis dix-huit mois. Solène considère Lawrence comme son père spirituel.
J’ai un ami romancier, auteur de thrillers et polars. Il m’a expliqué comment il construisait ses personnages. Avant de se lancer dans l’écriture de son intrigue, il veut tout connaître d’eux, leur enfance, leurs qualités, leurs défauts, quelles sont leurs relations avec le reste de la famille. Souvent, il n’utilise qu’une infime partie de ce qu’il sait sur eux. Seulement la partie visible de l’iceberg en fait. Un peu comme ce que l’on sait de ces énergumènes. Aucun d’eux ne m’a l’air complètement clean. Même si le violoniste me semble ambigu, c’est sur son frère, mais aussi sur le père qu’il faut se concentrer.