Pascal-Valéry Roy

La télé n’est qu’une vitrine. Qui regarde ? Des gens seuls, sans emploi, des femmes trompées, des vieux qui s’inquiètent pour leurs petits enfants, des femmes souvent, des homosexuels souvent, et puis parfois, quelqu’un qui se demande si son coup de cœur pour son collègue de bureau est partagé, et quand on lui répond que oui après qu’il s’est décidé à appeler en direct, un éclat de rire, de joie, dîtes-moi que le meilleur est à venir, s’il vous plait, dites-moi ça, que c’est mon pain noir que j’ai mangé n’est-ce-pas, c’est bien ça, j’ai bien compris …

Dans un sens ou dans un autre, après tout je peux me tromper. Je veux dire j’ai confiance dans la qualité de ton travail, et si après l’avoir suivie une semaine ou un mois à toi de voir l’argent n’entre pas en ligne de compte, si dans ton rapport final tu me dis que je me trompe, je l’accepterais malgré mes certitudes. Mais je ne crois pas. Je ne peux pas prévenir la police, pas sans preuve, et surtout pas contre son gré. C’est la raison pour laquelle j’ai pensé la faire suivre, c’est surtout pour cette raison, et pas pour découvrir un quelconque mystère, ces choses-là, je veux dire sa vie privée ne regardent qu’elle, je préfère attendre qu’elle m’en parle plutôt que de la faire surveiller. En revanche si réellement elle est menacée c’est autre chose et je considère qu’il est dans mon rôle de la protéger.

Les autoroutes ont un charme particulier : ces grandes voies rectilignes sont à ce point rassurantes que je n’avais qu’à caler ma vitesse sur la sienne et à me laisser porter, sans plus penser. Il fallait toutefois rester vigilant, un de mes rêves éveillés pouvait surgir et me prendre à la gorge. Nous parcourûmes une quarantaine de kilomètres avant qu’elle ne ralentisse. Les aires de repos sont des zones mortes, des entre-deux : elles figurent parmi les endroits qui me fascinent le plus au monde, à l’instar des centres commerciaux, des parkings sous le soleil et des salles d’embarquement.

Au départ d’une enquête l’exhaustivité est la meilleure des alliées. Il faut tout regarder, partout, ne rien louper parce que c’est là qu’il ne faut pas se tromper. Il n’est jamais trop tard mais retrouver son chemin après que l’on a emprunté des voies sans issue est compliqué. Mieux vaut prendre son temps au début, avant de s’engager. Ratisser large. La seule chose que l’on puisse faire, c’est essayer de retenir ce que l’on a vu et fouiller partout comme un chien broussailleur.

En bon détective je savais qu’il ne fallait pas se faire remarquer des vieilles dames qui passaient la plupart de leur temps derrière leurs fenêtres à commenter une première fois toutes seules ensuite en société ce qu’elles voyaient. Mais j’avais la bougeotte. On ne se refait pas. Nuit et jour j’avais la bougeotte. Je jetai le mégot par la fenêtre de ma voiture où j’étais retourné m’asseoir quand je l’aperçus enfin qui rejoignait la sienne.

Certaines questions, a priori parfaitement incongrues ou hors contexte, amenaient des réponses qui étaient de véritables pépites, lesquelles pouvaient s’avérer précieuses plus tard, au moment de recoller les morceaux : certains détails a priori anodins prenaient une importance considérable, allez savoir pourquoi. Je n’en fais pas toute une histoire, mais la vérité prend tant de place qu’elle est dans les détails, autant s’y attarder.

Quand les circonstances exigent que vous révéliez vivre en appartement quand tous les autres habitent de magnifiques villas d’une banlieue qui rappelle la Californie d’un film de Spielberg. Cette honte, sous une forme ou une autre ne me quitterait jamais. J’ai lu Annie Ernaux. Elle aussi sait. Je ferai avec, tant bien que mal, surtout mal dans mon adolescence, mieux ensuite, reconnaissons-le.)

Sur l’internet une recherche bien faite permet de brosser un portrait assez fidèle pour peu que l’on sache faire du tri mais malheureusement presque toujours incomplet. S’agissant des petits et des grands secrets rien ne vaut de se mettre dans les pas de celui ou de celle que l’on cherche à mieux connaître.