Patricia Falvey

Je suis née jumelle. Mon frère, né le premier n'a vécu que deux minutes. Ma mère s'est mis en tête que j'étais un "changelin" laissé par les fées à la place de mon frère qu'elles avaient enlevé. Les histoires d'enfants fées sont fréquentes dans notre région. Les villageois pensaient que c'était l'angoisse de l'accouchement qui avait mis ce genre d'idée dans l'esprit de ma mère, et qu'elle l'oublierait avec le temps. Mais Ma n'en a jamais démordu et m'a toujours traitée avec méfiance et, parfois même, dégoût. Je connaissais ses raisons, mais cela n'atténuait en rien la douleur.

Si mon frère avait survécu, il aurait travaillé à la ferme avec mon père. C'était ainsi. Les pères apprennent à leurs fils à travailler la terre afin qu'ils puissent prendre un jour leur succession. Les mères, à leur tour, apprenaient à leurs filles à tenir la maison : cuisiner, nettoyer, faire la lessive et élever les enfants, pour qu'elles deviennent ensuite de bonnes épouses, les plus jeunes en tout cas. Malheureusement, c'était à la fille aînée de rester pour s'occuper de son père et de ses frères après la mort de la mère et le départ du reste de la famille.

En tant que fille aînée, ma soeur Nora, née deux ans avant moi, aurait dû s'y conformer, mais notre mère n'aurait jamais accepté cela. Elle rêvait que Nora épouse un homme riche et avait donc décidé qu'elle n'avait pas besoin de lui apprendre à tenir une maison. Quant à moi, j'avais pris le rôle du fils ; Pa avait besoin d'aide à la ferme et Ma refusait de m'avoir dans la cuisine.