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Citations de Patrick Ringgenberg (87)


A la fin de son livre, Boccace écrit que les récits n'ont été prononcés ni entre religieux, ni entre philosophes, mais dans des jardins (conclusion de l'auteur, p 858).A première vue, et si l'on comprend Boccace littéralement, les cent récits du Décaméron sont de simples divertissements qu'il faut lire pour ce qu'ils sont. Mais si l'on brise l'écorce des mots, sa formule décrit précisément la nature de la connaissance cachée dans les nouvelles.
Les philosophes, en effet, font référence à une pensée fondée sur les facultés rationnelles et l'expérience empirique, alors que les religieux évoquent une théologie dogmatique, codifiée dans le cadre d'une religion institutionnalisée. Dans ce contexte, le jardin ne peut-être qu'une chose : la connaissance des êtres qui habitaient le jardin d'Eden de la Bible, l'âge d'or de l'Antiquité grecque et romaine. Adam et Eve n'étaient ni théologiens ni philosophes. La première humanité vivait dans une spiritualité spontanée et intuitive, créée à l'image de Dieu, et qui n'avait nul besoin de penser ou de pratiquer un culte.
Le Décaméron propose ainsi une sagesse d'Amour, qui fait retourner l'âme au paradis en lui redonnant la conscience spirituelle de la première humanité. Cette spiritualité n'a pas besoin de l'intellectualisme des philosophes, d'une théologie qui dessèche l'âme sans la spiritualiser, ou d'une religiosité sans foi ni intelligence. Le rationalisme des philosophes développe une habileté réflexive, mais il ne provoque pas de transformation spirituelle, alors que la pensée des théologiens ne suffit pas non plus à engager l'âme dans une régénération intérieure. D'où une spiritualité qui n'appartient ni au cérébralisme des uns, ni au savoir religieux des autres, et qui est précisément la sagesse et la spiritualité d'Amour sous-entendues par le symbolisme du jardin.
Le jardin d'Eden représente une spiritualité, qui est à la fois l'origine de l'humanité, la conclusion d'un voyage initiatique et une présence de sagesse immuable. Comme une dépendance de ce paradis, les jardins du Décaméron accueillent ceux qui peuvent ou pourraient y vivre : ceux qui ne s'en tiennent pas à une pensée théorique ou à un religiosité superficielle, mais qui ont été transformés par la Sagesse et par l'Amour ou qui aspirent à cette métamorphose.
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Sans aucunement se donner pour un livre sacré, le Décaméron nous indique, sans insistance, mais à l'aide de références suffisamment évidentes, que le sens profond de ses nouvelles appartient au domaine du divin, de la vision spirituelle et du mystère d'Amour. A l'aube de la dernière et dixième journée, Emilia enlève la couronne de laurier qu'elle portait pour la poser sur la tête de Panfilo, le dernier roi à régner sur ses compagnons d'amour et de sagesse. En lui"souriant", elle lui rappelle la lourdeur de sa tâche et ajoute : "Que Dieu en cela t'accorde sa grâce, comme il m'a donné à moi celle de te faire roi" (IX, conclusion, p.753). Autrement dit, c'est une inspiration et une grâce divine qui livrent la clé ultime des contes et leur fonction.
De même, si les nouvelles sont racontées dans des palais hors du temps et hors du monde, c'est qu'elles contiennent une sagesse propre à la spiritualité paradisiaque, située elle-aussi à l'abri des contingences et de ses atteintes. Les dix narrateurs, nous dit Boccace, ont coutume de s'asseoir autour d'une fontaine pour se raconter leurs nouvelles (VI, introduction, p.494). Or, la fontaine évoque la source d'immortalité et l'eau de jouvence, qui vivifient et immortalisent l'âme et l'intelligence. Dans le Romand de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meun, une Fonatine d'Amour se trouve dans un verger empli d'arbres, de fleurs et d'animaux, semblable au "Paradis terrestre". Le bassin de cette fontaine est un miroir qui rend les êtres amoureux, mais qui foudroie ceux qui, comme Narcisse, ne savent aimer que leur propre image.
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Boccace utilise ainsi une ville concrète -Florence- pour évoquer une situation de déclin affectant toute l'humanité. Un tel procédé est aussi un principe d'écriture de la Divine Comédie. Dante a pris des personnages historiques, des événements locaux et des lieux précis pour les élever au rang de symboles universels et atemporels. Si l'on se tourne vers les textes sacrés, le principe est analogue : les événements vécus par les prophètes bibliques ou le Christ ne sont pas seulement des faits enregistrés par l'histoire, ils manifestent aussi un enseignement spirituel valable pour tous les temps. dès lors, la fuite des jeunes gens de Florence à la campagne a également valeur d'archétype : c'est la fuite hors d'un monde déchu vers un paradis. Lorsque Pampinea suggère à ses compagnons de se réfugier loin de la ville afin de conserver leur vie (I, introduction, p.47-49), il faut entendre cela comme un passage de notre condition humaine à une réintégration paradisiaque, de la mort de l'âme à son immortalité spirituelle, ou de l'Egypte à la Terre promise.
On comprendra alors la profondeur d'intention qui perce dans cette parole de Pampinea, exhortant ses compagnons : "Il me semblerait excellent que nous quittions cette ville, ainsi que beaucoup l'ont fait avant nous et le font encore, fuyant comme la mort les exemples malhonnêtes, pour aller séjourner honnêtement à la campagne", pour y "goûter toute la joie, toute l'allégresse, tout le plaisir possible, sans transgresser en rien les limites de la raison (I, introduction, p.49). Le caractère murmuré des termes cache le principe d'une régénération initiatique. Pour retrouver la sagesse, il faut fuir la fausseté du monde. On n'atteint la Terre promise qu'en abandonnant l'Egypte : l'homme doit renoncer aux passions profanes pour atteindre un paradis contemplatif. La sagesse retrouvée est non seulement un gage d'immortalité, puisque l'âme est spirituellement guérie, mais aussi de justice, de joie et de paix.
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Dans sa Divine Comédie, Dante décrit aussi le paradis terrestre, au sommet de la montagne du purgatoire, comme une forêt, une campagne joyeuse et printanière. De même dans le Décaméron. au début de la troisième journée, les jeunes gens déménagent dans un autre palais, à côté duquel se trouve un luxuriant jardin donnant l'impression de réunir toutes les plantes aromatiques que l'Orient peut produire (III, introduction, p230). L'Orient, ici, n'est pas tant l'espace géographique que la lumière spirituelle qui éclot dans l'âme. Les églises sont orientées vers l'est comme les hommes doivent l'être vers Dieu. Les plantes produites par cet Orient représentent des états ou des sciences spirituels qui appartiennent à la lumière du paradis. Boccace reprend en effet une symbolique du jardin d'Eden courante au Moyen Age, et que l'on trouve par exemple chez Isidore de Séville (v. 570-636). Ce dernier écrivait que "le paradis est un lieu situé dans les terres orientales" : dans ce "jardin des délices", au climat tempéré, abondent "bois et arbres fruitiers de toutes essences, y compris l'arbre de vie." Toutes ces interprétations sont confirmées par Boccace qui fait dire à ses personnages qu'on ne saurait rendre cet endroit plus beau et qu'on ne pourrait imaginer différemment le "Paradis sur terre" (III, Introduction, p.231).
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La végétation qui entoure la villa ne peut être qu'une image paradisiaque : celle de l'immortalité et de la floraison spirituelles. La symbolique de l'arbre de vie, de la vigne ou des fruits se rencontre dès les débuts du Christianisme. Au Moyen Age, le jardin est comme un paradis miniature, un reflet du jardin d'Eden. Lieu de rencontre des amants dans la poésie courtoise, il a été aussi associé à la Vierge, mère du Christ et symbole de Sagesse, à l'âme intérieure, lieu de la connaissance et de l'Amour, à la femme, image de la beauté contemplative et déclencheur d'un amour charnel et mystique.
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Les lieux servant de toile de fond à la narration des nouvelles sont également riches en significations. Le premier palais qui réunit les protagonistes est situé au sommet d'une petite montagne, à l'écart des routes, dans une végétation abondante et variée. Orné de fleurs, il contient des puits d'eau fraîche, des caves à vin, des peintures riantes, des pièces très belles et parfaitement nettoyées (I, introduction, p. 52). Boccace nous décrit un lieu idyllique, paisible, joyeux; bref, un paradis. Or, de quel paradis peut-il s'agir, sinon du paradis terrestre décrit dans la Bible ?
A travers l'évocation d'un palais, le Décaméron suggère également un paradis de l'âme, le lieu d'une connaissance spirituelle. La villa est une image du cosmos édénique, non encore affecté par la chute et la connaissance du bien et du mal. Elle est aussi, et par là-même, un symbole du coeur spirituel. A l'écart des routes, elle est isolée de l'agitation et de l'ignorance de la société. Elle ne désigne pas un lieu précis de la Toscane, mais un état spirituel qu'aucune route terrestre n'atteint et que l'on peut découvrir uniquement e suivant la voie d'Amour.
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Chaque narrateur des nouvelles a une personnalité et un profil particuliers : chacun incarne st symbolise un type d'âme, une perspective, une qualité et une prédisposition spirituelles, un aspect de la voie d'Amour ou une intelligence de la Sagesse, voire (comme Dionco) un défaut ou une ambivalence du caractère. La fonction de chacun est suggéré par leur nom, qui ne fait référence à aucun personnage historique, mais à des notions symboliques ou à des figures mythologiques. Boccace l'affirme lui-même, puisqu'il écrit à propos de sept jeunes dames qu'il entend "appeler chacune d'entre elles d'un nom qui convienne en tout ou partie à ses qualités propres." (I, Introduction, p. 47). Lauretta, par exemple, est une allusion au Laurier (lauréto), Fiammetta aux flammes de l'Amour (fiammàta). Elissa est le nom originel de Didon (l'errante), reine de Carthage, dont l'amour malheureux pour Enée est raconté par Virgile dans l'Enéide. Dioneo évoque la luxure et Dioné, mère de Vénus, déesse de la beauté et de l'amour. Panfilo signifie "pris par l'amour" et Filostrato "victime de l'amour". Ces dix personnages sont tous amoureux, comme l'affirme le Décaméron à plusiurs reprises : autrement dit, tous suivent une voie spirituelle fondée sur une Sagesse d'amour.
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Le décor symbolique des contes
Rappelons en deux mots l'arguments du Décaméron. Lors de la peste qui frappe Florence en 1348, sept jeunes filles et trois jeunes gens décident de se réfugier dans une riche villa de la campagne toscane, dans laquelle ils passent dix jours de réjouissances et de paix. Chaque journée est remplie par des fêtes et par des récits que chacun raconte à tour de rôle sur un thème chaque jour différent. Précédé et clos par un prologue et une conclusion de Boccace, le Décaméron est ainsi divisé en dix journées, contenant chacune dix nouvelles. Chaque journée est présidée à tour de rôle par l'un des dix narrateurs, élu roi ou reine de la petite assemblée. (...)

Cette structure littéraire appelle une première remarque. ces dix journées composées chacune de dix nouvelles racontées à tour de rôle par dix personnes font appel à un symbolisme des nombres analogue dans son principe à celui de la Divine Comédie. le nombre dix est le nombre suprême, puisqu'il constitue un retour à l'unité et une synthèse des nombres précédents. La décade symbolise le Divin, le Principe premier et le suprême Un. (...)
Au XIIIe siècle, Raymond Lulle avait écrit un livre en dix chapitres, qui résumait tout ce que l'homme doit savoir pour que Dieu soit "connu, aimé et servi" (Félix ou le Livre des Merveilles, Prologue). Par son ordonnance (cent contes racontés pendant dix jours par dix personnages), le Décaméron indique également qu'il contient une sagesse humaine et spirituelle complète, offrant toute la connaissance nécessaire à la réalisation amoureuse de l'homme. La Divine Comédie de Dante contient de même cent chants : l'Enfer, le Purgatoire, le Paradis sont chacun composés de trente-trois chants, précédés d'une introduction : soit 1 + 33 + 33 + 33 = 100. Le nombre cent, chez certains auteurs médiévaux, symbolise d'ailleurs la vie éternelle, car il est un nombre parfait. Parfois surnommé les Cent nouvelles, le Décaméron est comme une Divine Comédie profane : Boccace ne traverse pas des mondes eschatologiques, mais symbolise des accomplissements d'Amour par le biais d'aventures terrestres.
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Quelques derniers mots avant de commencer. Pour pêcher les perles du Décaméron et mettre en collier leurs significations, nous serons forcés d'utiliser des termes comme "Esprit", "sagesse", "alchimie", "initiation". On sait combien ces mots sont connotés et difficiles à manier : nous pensons notamment à la notion de "spirituel", qui, chez Boccace, ne recoupe pas souvent l'idée chrétienne que l'on peut s'en faire. ce n'est pas le lieu de donner de ces termes une définition qui serait, sinon impossible, du moins inexacte et fugitive. Ce qui transcende l'homme appartient au spirituel, mais l'Esprit n'est pas seulement chrétien, au sens de la théologie. On peut être spirituel de bien des manières, l'intelligence peut être sage sous bien des rapports, la contemplation intègre beaucoup de formes de langages.
Autrement dit, parler de l'Esprit du Décaméron ne signifie pas réduire sa sagesse à une dimension du Christianisme ou à un "néo-spiritualisme" quelconque. Notre auteur appartient à la fois à un humanisme spirituel inspiré par l'Antiquité, à une conception "initiatique" de l'homme de désir, et à la vision chrétienne et médiévale du monde. Il faut se souvenir de ces paramètres pour concevoir comment Boccace a pu critiquer les clercs tout en reconnaissant l'Esprit de la religion, proposer une voie spirituelle sans s'inscrire dans l'idéal monastique ou le cheminement théologique, raconter tous les amours et un seul Amour, parler sans cesse de la noblesse de l'homme sans jamais quitter des yeux l'arc-en-ciel de l'humanité, avec ses grandeurs, ses misères, se drôlerie, et surtout son invincible certitude de vivre et de vivre vers quelque chose.
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Toute la théologie médiévale repose sur le principe des sens multiples contenus dans les textes sacrés. Selon cette conception, les vies des prophètes bibliques, comme les paroles du Christ, possèdent un sens littéral, compris de tous, puis des significations morales, spirituelles ou divines, diversement accessibles aux savants et aux mystiques. Dans le prologue de sa Somme théologique, saint Thomas d'Aquin (v. 1224/25-1274) écrit, à la suite de saint Augustin, que "dans une seule "lettre" de l'Ecriture, il y a plusieurs sens." Outre le sens littéral ou historique, il y a trois sens spirituels : le sens allégorique, lorsque la Loi de l'Ancien Testament annonce et exprime la Loi du Nouveau Testament; le sens moral, qui manifeste ce que l'homme doit faire pour être conforme aux paroles et aux actes du Christ; et enfin le sens anagogique, le plus élevé, qui se rapporte aux choses existant "dans la gloire éternelle".
(La sagesse du Décaméron de Boccace)
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Boccace écrit le Décaméron, son chef-d'oeuvre, entre 1349 et 1351. (...)
Le Décaméron est généralement précédé d'une réputation de grivoiserie, d'anticléricalisme, d'humanisme libertaire ou de revendications amorales. Cette réputation, on s'en doute, ne correspond guère à la stature intellectuelle de son auteur, quelles que puissent être les contradictions de l'homme Boccace.
(La sagesse du Décaméron de Boccace)
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A Naples, le jeune Boccace étudie le droit à l'université, s'initie à la vie courtoise et culturelle, rencontre des intellectuels et des poètes, tout en collaborant aux affaires commerciales et financières de son père. C'est dans cette ville que s'épanouit un amour jamais démenti pour l'étude et la littérature, et qui se concrétise par une première période créatrice. (...)
Sa rencontre avec Pétrarque, souverain de la culture contemporaine, est déterminante. Les deux hommes échangent une correspondance intense et riche.
(La sagesse du Décaméron de Boccace)
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Né en 1313, Boccace nous apparaît à mi-chemin entre le Moyen Age et la Renaissance. Avec Dante (1265-1321) et Pétrarque (1304-1374), il a contribué à l'âge d'or médiéval de la littérature italienne, tout en inaugurant une voie de l'humanisme et une nouvelle lecture de l'homme.
(La sagesse du Décaméron de Boccace)
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Les trois études de ce livre sont donc unies par une même démarche : tenter de rendre compte de l'intelligence spirituelle de quelques manifestations de la culture médiévale. En mettant à jour leur sève vivante et leur actualité signifiante, on aboutira forcément à une meilleure connaissance des résonances de cette culture, et, par écho, à une meilleure appréciation de ce qu'elle peut apporter à notre modernité et à son futur. Le passé est passé, et un regard contemporain sur ce qui n'est plus sera toujours un miroir qui nous reflète, plus qu'il ne nous renvoie l'image d'un passé à la fois compréhensible et insaisissable. En même temps, les oeuvres médiévales peuvent toujours jouer comme des miroirs, dans la mesure où leurs symboles actualisent des possibilités de comprendre et d'être qui n'ont pas été révolues par les changements de l'histoire. Ces trois études sont donc aussi trois miroirs : une réflexion du passé, une réflexion sur le passé, une image de connaissance et une possibilité de s'y refléter, ici et maintenant.
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"Si nous parvenions à comprendre l'art gothique, écrivait Auguste Rodin, nous serions irrésistiblement ramenés à la vérité." (Les cathédrales de France, Armand Colin, Paris, 1946, p. 8.)
L'art gothique ne détient nullement la vérité, mais certainement une vérité. or cette vérité, pour les clercs médiévaux, est intemporelle et habite le tréfonds de l'homme. L'homme peut écrire des fragments et retrouver le sens d'une oeuvre lointaine, parce qu'il est habité par l'immuable. l'intelligence n'aurait aucun sens du devenir si elle ne s'enracinait pas dans une transcendance. ce que le Moyen Age avait compris de l'homme et de l'Invisible continue donc de vivre dans notre actualité, même si les changements des temps nous font regarder ailleurs et autrement. On peut se lasser des espoirs politiques déçus qui parsèment La Divine Comédie de Dante, mais on s'abreuvera toujours de son périple de notre enfer au paradis : son poème est une polyphonie vivante, qui peut toujours être assimilée, dans n'importe quelle contemporanéité, comme le moteur et le cadre d'une vision du monde et d'une formation de l'intelligence et de l'être entier.
En d'autres termes, si la démarche scientifique moderne est aussi peu platonicienne que possible, on peut néanmoins se demander dans quelle mesure elle pourrait exister, s'il n'existait pas justement des archétypes atemporels dont l'intelligence peut à tout moment se souvenir pour illuminer la signification d'une école théologique, un poème de troubadour ou la conscience d'une histoire.
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Comme signes sociaux, les symboles fondent les rapports entre les êtres, quadrillent la société de valeurs et de repères, orientent les devenirs individuels et collectifs, déterminent les gestes et les paroles qui enracinent, relient, informent et font exister. D'un point de vue subjectif, les symboles fécondent et approfondissent la conscience du monde et de Dieu, déterminent des spiritualités et l'intelligence contemplative, éclairent aussi bien la conscience du corps et la structure psychique que les capacités de l'intelligence. Enfin, dans un contexte spirituel, les symboles rendent actuel et efficient le rattachement de l'homme à l'Esprit et aux vérités des Ecritures ou des textes spirituels. Solidaire d'une intelligence développée et enrichie par la spiritualité, cette vie des symboles dépasse la fonction d'un imaginaire. Dans une démarche contemplative, les textes mystiques l'attestent, elle est susceptible de transformer l'homme et d'actualiser en lui une connaissance participative du surnaturel.
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2. Pour la pensée médiévale, Dieu et le surnaturel sont des réalités premières et déterminantes du devenir et de la place de l'homme dans le monde.

Le monde médiéval ne doutait pas de l'existence de Dieu et de réalités surnaturelles, même si les conceptions et les vécus religieux ont sensiblement varié dans l'espace et dans le temps et au sein de la société médiévale. Parfois idéalisé comme "le temps de la Chrétienté", le Moyen Age n'était pas uniformément chrétien, et il a été différemment selon les temps et les lieux. Outre les différents courants mystiques, monastiques ou théologiques à l'intérieur même du Christianisme, de nombreuses manifestations culturelles se font l'écho de spiritualités rattachés plus ou moins à des valeurs spirituelles, mais situées en marge du langage, des positions et de l'organisation de l'Eglise : la spiritualité chevaleresque codifiée par les romans du Graal, par exemple, ou la spiritualité d'amour dévoilée par les poètes italiens comme Dante et Cavalcanti et sans doute déjà présente chez les troubadours provençaux. ces courants se spiritualité et de pensée partagent l'affirmation d'une réalité transcendant, symbolisée en l'occurrence par le Graal et par la Dame, et la possibilité d'une métamorphose spirituelle, opérée à travers la quête du Graal ou l'amour de la Dame.
Quels que soient l'origine et le milieu de développement de ces spiritualités, l'Invisible n'était pas perçu comme un fantasme culturel ou un subjectivisme collectif, mais comme le fondement de la réalité et le point de départ d'un accomplissement réel de l'homme. Pour les hommes du XXIe siècle, en revanche, la croyance au surnaturel ne ressort que du domaine privé de la foi, et la métaphysique est à priori exclue des sciences. L'axiome qui en résulte est la mise à l'écart, voire la négation, de toute réalité dépassant le plan humain et physique; la conséquence en est un jugement généralement négatif envers toute vision du monde reposant sur une relation déterminante entre une réalité transcendante (divine, angélique, surnaturelle) et une réalité religieuse, humaine, sociale et culturelle.
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Parmi les postulats importants qui déterminent l'essentiel de la pensée et de la théologie médiévales, et que refusent plus ou moins aujourd'hui la philosophie et les sciences humaines, on relèvera surtout les trois points suivants.

1. La pensée médiévale ne repose pas sur la seule rationalité, mais également sur une intelligence contemplative ou une inspiration surnaturelle solidaires d'une spiritualité.

L'édifice théologique médiéval, la mystique et le symbolisme des manifestations religieuses s'enracinent dans une connaissance contemplative, diversement évoquées par les théologiens, les moines et les mystiques. Tous reconnaissent la possibilité d'une connaissance qui transcende les facultés discursives et la rationalité, et qui constitue la vraie nature de l'homme crée à l'image de Dieu. l'homme n'est pas seulement corps et âme, mais corps-âme-Esprit. La raison (ratio) évoquée par les auteurs médiévaux n'est pas la raison du rationalisme, elle comprend et s'enracine aussi dans une intelligence contemplative. Nommée souvent intellect ou intellect agent, cette intelligence est la dimension est la dimension supérieure de l'âme, une forme de raison intuitive ou d'intuition supra-rationnelle. (...)
Cette conception a été battue en brèche par le développement philosophique de l'Europe post-médiévale. Peu à peu, la pensée occidentale en est venue à refuser toute idée de Révélation surnaturelle et fondatrice, de connaissance supra-rationnelle (contemplation, grâce, inspiration ou autres), et de relation nécessaire entre une spiritualité et l'épanouissement de l'intelligence. Néanmoins, pour approcher les intellectuels du Moyen Age et la pensée médiévale il faut tenir compte de ce renversement épistémologique et de cette rupture fondamentale. Sinon le risque est grand de surimposer nos valeurs et nos critères de connaissance sur le monde médiéval avec pour résultat de ne voir que ce que nous pouvons ou voulons y voir, de déformer le contenu de certaines manifestations de pensée, de dénigrer par préjugé des idées ou des symbolismes, et finalement de nous tromper sur la portée réelle et la valeur globale des conceptions médiévales. (...)

Une telle problématique ne concerne pas le seul Moyen Age occidental. Au XXe siècle, l'étude approfondie des cultures extra-européennes a montré ou confirmé que toutes les civilisations pré-modernes ont reposé sur une perception métaphysique, visionnaire, surnaturelle du monde et de l'homme. Seul l'Occident, après la fin du Moyen Age et surtout à partir du XVIIIe siècle, s'est peu à peu construit en dehors (voire même en opposition à une telle perception, (...).

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La démarche que l'on aimerait illustrer dans ce livre suppose de participer à la logique métaphysique, théologique et contemplative du Moyen Age pour entrer dans le réseau vivant de ses symboles. Il ne suffit pas de percevoir les articulations et les données de la culture médiévale telle que nous pouvons la connaître, il faut également prendre au sérieux philosophiquement et anthropologiquement, ses conceptions essentielles du monde, de l'univers et de l'absolu. Cette approche plus philosophique est susceptible de révéler des problématiques qui échappent à une perspective académique et qui peuvent néanmoins suggérer de nouvelles pistes de recherches et enrichir des méthodologies. Il s'agit (...) de proposer des analyses qui tiennent compte, autant que possible, des motivations et des déterminations spirituelles propres au Moyen Age. En appréciant la culture médiévale en fonction de ses propres critères de connaissance et de spiritualité, ces analyses seraient susceptibles d'offrir de nouveaux champs d'exploration et d'interprétation.
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Solidaire de la subjectivité de ses acteurs et des mouvements de l'histoire, une science humaine n'est pas une science exacte. Quelle que soit la précision de nos informations et des recherches historiques et archéologiques, notre vision du Moyen Age dépend aussi de la conception que notre modernité se fait de l'homme, de l'univers, de la culture et de la pensée, et cette vision est susceptible de varier en fonction même des développements de la modernité. Chaque historien a par ailleurs son vécu, sa trajectoire, ses passions, ses goûts, son devenir et ses travaux ne seront jamais désincarnés de cette personnalité et des situations psychologiques dans lesquelles il les réalise. A ces facteurs individuels se superposent les influences d'un climat historique propres à tel pays ou telle université. Sans verser dans un relativisme commode et d'ailleurs contradictoire, il faut néanmoins avoir conscience que l'écoute du passé se fait dans l'acoustique du présent, et que le présent lui-même est une mutation continuelle de nos actualités. En définitive, les visions nécessairement multiples du Moyen Age ne font que rendre compte des complexités de la matière historique, de notre subjectivité moderne et de l'évolution de notre propre questionnement. Chaque démarche peut être pertinente dans son registre, son orientation et sa cohérence propres, et révéler tel aspect d'une réalité irréductible à une vision unilatérale et monopolisatrice.
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