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Citation de KatherineT


L'homme qui régnait sur la maisonnée de Lyons Avenue était une énigme humaine d'une impénétrabilité si redoutable que Baumgartner avait passé son enfance cloîtré dans un état d'incertitude continuelle quant à qui était son père et qui il était, lui, en relation avec son père. Il l'avait craint et vénéré, ce père, parfois il l'avait presque aimé, mais rien à son sujet n'avait jamais eu de sens : un capitaliste anti-capitaliste ayant consacré près de quarante ans à faire tourner une affaire familiale dont l'affaire était de gagner de l'argent pour la famille, un homme du peuple de bas étage et défenseur des masses exploitées qui maltraitait les gens travaillant pour lui, leur adressant de méchantes insultes et d'agressives réprimandes, un athée impénitent qui avait forcé son fils à subir le rituel de la bar-mitsvah parce qu'il y avait lui-même été forcé et voulait que son fils souffre autant que lui, mais peu importe toutes ces salades à présent, se dit Baumgartner, l'essentiel est que, malgré sa morgue, sa grandiloquence et ses accès de cruauté occasionnels, son père n'était guère plus qu'un rêveur malchanceux, révolutionnaire fantôme qui resta assis dans son atelier sans jamais rejoindre les forces d'aucun groupe d'hommes et femmes partageant ses idées ni ne leva le petit doigt pour faire avancer la cause de la justice, un homme isolé, coupé du monde, qui vivait la lutte dans sa tête et donc sachant qu'il n'avait pas été fidèle à lui-même en ne menant pas ce qu'il imaginait être le combat de la justice.
[...]
Toutefois, il y avait une chose à propos de son père, une chose importante que Baumgartner commença à percevoir à dix ou onze ans et dont il devint certain à douze ans, quand on le laissa sauter la quatrième. Son père était fier de lui. Non qu'il ne lui ait jamais dit, et non qu'il n'ait pris soin d'avertir Baumgartner, chaque fois qu'on lui soumettait un de ses bulletins brillantissimes, de ne pas prendre la grosse tête, lui rappelant qu'il n'était que poussière, comme tout le monde, et retournerait à la poussière, quoi que disent ses notes, mais malgré cette façade bougonne, Baumgartner savait que son père le surveillait de près, que Jacob l'excentrique revivait ses luttes d'enfance à travers son fils et en secret le poussait à s'arracher à son médiocre trou perdu pour s'enfuir aussi loin de chez lui que ses faibles ailes le porteraient.
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