Paul Serge Forest nous présente son roman, "Tout est Ori", à paraître le 2 mars aux Editions des Equateurs !
Il y a un sens vulgaire au mot clam qui diffère de celui du mot moule. Sur la côte nord, on appellera aussi clam toute compression de mucus, crachée ou expectorée, dans les contextes langagiers ou le mot morviat n'est pas assez fort. En raclant de façon sentie leur oropharynx avant de cracher dans la cour de récré, les petits gars avertissaient ainsi Laurie : « Tchèque bien la clam. » Laurie faisait mine de s'en dégoûter, mais se retournait tout de même, par curiosité des fluides, pour mesurer l’épaisseur de la chose.
Elle se rassurait de produire quand même, à intervalles réguliers, de la merde et de continuer à l’excréter par l’anus. Elle restait réelle et le mouvement des étrons dans l’eau des toilettes ne manquait jamais de lui rappeler la réalité.
(Vlb, p.308)
Il s'est assis là où se rendaient les vagues pour observer la danse singulière des particules. Elles avaient un comportement plus animal que minéral. Il était facile de leur prêter une volonté : déplier le plus loin possible, en longues traînées, leur chatoiement bizarre. Saisi par le phénomène, Goyette n'a pas reculé. Le fleuve lui est rentré dans les souliers, dans les pantalons, dans la raie. C'était froid, et de plus en plus magnifique.
En expliquant que la crevette naît d’abord mâle avant que ses testicules se transforment en ovaires, produisant ainsi des œufs dont on peut se délecter, il écrit : Quand la langue, contre le palais, fait céder ces minuscules sphères algueuses et que la bouche se tapisse d’un éclat d’iode, il fait bon se rappeler qu’on ne naît pas femme, on le devient.
Le reste de l’histoire est inaccessible comme le fond d’une plaie ancienne, qu’on ne peut imaginer qu’en se fiant à la cicatrice.
Laurie n'a pas toléré longtemps l'afflux du fleuve froid sur sa peau... Il y avait longtemps qu'elle n'avait pas eu la sensation physique de son existence. Elle s'imaginait en la ressentant, une brèche dans un grand barrage de béton qui le lézarde irrémédiablement dès qu'elle devient apparente.
Depuis la mi-février, Mori disait souvent à Laurie que de toutes les émotions, l’hésitation est celle qui caractérise le mieux l’humain. Les prédateurs chargent, les proies fuient ; les humains hésitent.
-Vous êtes mon aboutissement, s'est-il adouci, mais je ne suis que votre départ. Chaque jour, en me réveillant, je me réjouis du fait que vous existez. Cela me remplit de joie, la même joie que j'ai à respirer l'air, à regarder le ciel ou la mer. Et vous êtes belle. Mais on ne fait pas l'amour avec le vent ou les vagues. Vous appartenez à l'ordre des choses plus grandes, celles où j'existe et qui me contiennent entièrement.
Si je pince mon nez, mon odorat continue d’être stimulé par l’arrière, par l’air qui entre par ma bouche. Si je bouche mes oreilles, j’entends encore les bruits internes de mon corps. Même si je reste nu, il y a toujours de l’air sur ma peau. Ma bouche s’est depuis longtemps habituée à son propre goût, mais je ne peux pas décider de ne pas goûter. Ma vue est le seul sens que je peux volontairement éteindre.
La vague est un phénomène nombreux, comme une volée d’outardes ou les rides sur un visage. Pour remarquer la ride qui n’en est pas une, mais plutôt la cicatrice d’une vieille blessure, ou pour remarquer l’outarde fatiguée qui sera laissée derrière, Il faut s’arrêter et observer.