Paule Jeanin

Elle ne devait pas se laisser gagner par une vague de peur et de suspicion. Pour cet homme, elle représentait certainement une proie facile, une conquête d'un soir attirée par des phrases sibyllines, des menaces inventées de toute part. Apeurée par des menaces qui n'existaient que dans l'imagination de cet étranger, elle lui tomberait dans les bras... Le tour était somme toute très bien manigancé : en se méfiant d'ennemis fictifs, elle ne se méfierait pas du seul danger réel : lui...

Je vous l'ai dit, ma mère est une femme qui aime le luxe, les sorties, et les voyages... Elle ne sait pas ce que manquer d'argent veut dire, et pour elle, il s'agit seulement de tirer des chèques... Jamais elle n'a réfléchi sur la façon dont son compte en banque, mis à sa disposition par mon père était alimenté... Bref, lorsque mon père est mort, il laissait une jolie fortune qui nous mettait à l'abri du besoin... C'était hélas compter sans la prodigalité de sa femme...

Elle chavira dans le monde de l'ineffable. Elle sut que jamais elle ne s'était sentie femme auparavant, et que jamais plus d'autres bras ne la rendraient aussi fière et consciente de son corps... Elle lui rendit son baiser avec une douceur infinie, une tendresse immense. Elle voulait qu'il apprenne par ses lèvres, sans pourtant qu'elles prononcent un seul mot, ce courant qui la secouait tout entière.

L'idée qu'ils allaient se séparer, ne serait-ce que quelques jours, lui broyait l'âme. Et ce n'était pas seulement parce que sans lui, elle était totalement démunie... Qu'il lui arrive quoi que ce soit, et que deviendrait-elle ? Non... Pendant ces dernières heures, le sentiment qu'elle éprouvait pour lui avait grandi à ce point que toute idée de ne plus le voir lui était intolérable...

Elle n'avait jamais été habituée à se confier et déjà, le peu qu'elle avait dévoilé à sa voisine lui paraissait énorme... Et puis elle n'avait pas envie d'évoquer les scènes pénibles de ces dernières semaines... Pour l'instant, elle avait plutôt besoin de les fuir... N'était-ce pas pour cela, essentiellement, qu'elle se trouvait dans cet avion ?

J'ai peine à croire que ces Libanais sont venus ici et ont vu de leurs yeux Desperado... D'ailleurs, il est absolument impossible qu'ils aient découvert cet endroit par hasard comme ils l'ont prétendu au notaire... On n'arrive ici que forcé ou avec une idée derrière la tête...