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Citation de sonatem


Soir
     
... Ailleurs est dite par les prés une parole encore plus lointaine et merveilleuse : dans ces sortes d’enclos où veille un seul peuplier, où quelque mûriers s’arrondissent, où j’aperçois encore une dizaine de moutons groupés, à contre-jour, bientôt dans l’ombre. Qu’est-ce qui accorde si parfaitement ces quelques bêtes à l’herbe haute et à l’huile du soir ? Là-bas, dans le lointain, que signifie ce groupe serré, silencieux, à peu près immobile ? […] presque éternelles et presque absentes, amies de la terre nue, de la poussière et des pierres — et telles que si le seul bélier qu’elles suivent vraiment était la lune. Vieilles comme les pierres, elles-mêmes pierres laineuses, ou antiques outres laineuses pressées les unes contre les autres, usées, farouches, cachées par la poussière que leur trottinement soulève, immémoriales …
     
Mais ce soir, c’est autre chose : quand elles sont arrêtées en groupe, en cercle, dans les herbes, entre le vert et l’or d’un pré qui peu à peu s’assombrit. Ce serait plutôt, juste encore visible avant la nuit, comme à la lueur jaune d’une bougie, une sorte de concile chuchotant, de conseil occupé d’on ne sait quel souci. Bêtes dorées par la flamme invisible, tandis que la cire s’épanche et bientôt blanchira au bord du ciel, recevant sur leur front étroit, osseux (presque un crâne déjà) l’huile sainte du crépuscule, l’onction solaire, dans cet enclos bordé d’arbustes. Autour d’elles, qui les garde et les situe, il y a moins une barrière ou une haie qu’un autre cercle, une autre assemblée plus large de feuillage dont l’ombre se creuse, une enceinte qui, plutôt qu’elle ne les enferme, en frissonnant doucement fraie un passage à l’obscur — et, à cause de la fraîcheur, on imagine que c’est la nuit qui monte d’en bas, non la nuit cruelle dont le vide est angoisse sans fond, mais la diaphane, l’arbre veiné d’argent — tandis que les bêtes se serrent au centre encore éclairé, dans ce dernier sursis du jour. De loin, on ne peut deviner ce qu’elles font, si elles broutent, si quelqu’une bêle, si elles écoutent ou attendent. Peu importe. Gardées par l’effusion des profondeurs, dans cette boucle scintillante et fraîche de la nuit imminente, encore aidées par la flamme d’une chandelle que nul ne tient, on les dirait toutes ensemble occupées à épeler tout bas les mots « herbe », « terre », « pacage » ; à moins que ce ne soit « paix infinie », « paix souveraine », « tranquillité dans le centre à jamais ». Dernière leçon dans l’école bocagère, vêpres d’étable dans ces replis des campagnes : la leçon dite et entendue, voici la flamme soufflée, et le doux trait du sommeil fiché en plein coeur de toutes choses.
     
pp. 98-100.
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