Un moment d'évasion à travers l'interrogation de l'auteur sur ce qui l'entoure, cette présence supérieure à l'essence humaine. les paysages sont absents de tout mais remplis de cette presence illimité et insodable!
Les mots fusent, doux, légers, inquiétants, déstabilisants. L'auteur nous plonge dans cette matière invisible cachée entre les couleurs, dans les silences où les pensées. il cherche le lien entre l'ombre et la lumière entre l'absence et l'oubli, ce lien indispensable sans lequel tout s'écroulerait faute d'harmonie!
C'est léger et dérangeant par moment, c'est surtout poétique, c'est à dire que chaque mot transporte avec lui plus que des images ou des sensations, mais ce nécessaire indicible qui parvient à toucher nos coeurs pour nous rapprocher de ce que l'on nomme, faute de mieux, le sacré.
Commenter  J’apprécie         371
Une nouvelle lecture de cet auteur, un peu différente, puisqu'il s'agit ici d' un recueil de textes sur le thème des paysages, notre environnement, l'émerveillement de peu de choses et il s'interroge comment il peut mettre des mots sur ces plaisirs de la nature. J'ai bien aimé, c'est très agréable, poétique certes mais sous cette forme, ça coule tout seul.
C'est une lecture plaisir qui nous apaise et nous enchante.
A lire et relire
Commenter  J’apprécie         200
Soir
... Ailleurs est dite par les prés une parole encore plus lointaine et merveilleuse : dans ces sortes d’enclos où veille un seul peuplier, où quelque mûriers s’arrondissent, où j’aperçois encore une dizaine de moutons groupés, à contre-jour, bientôt dans l’ombre. Qu’est-ce qui accorde si parfaitement ces quelques bêtes à l’herbe haute et à l’huile du soir ? Là-bas, dans le lointain, que signifie ce groupe serré, silencieux, à peu près immobile ? […] presque éternelles et presque absentes, amies de la terre nue, de la poussière et des pierres — et telles que si le seul bélier qu’elles suivent vraiment était la lune. Vieilles comme les pierres, elles-mêmes pierres laineuses, ou antiques outres laineuses pressées les unes contre les autres, usées, farouches, cachées par la poussière que leur trottinement soulève, immémoriales …
Mais ce soir, c’est autre chose : quand elles sont arrêtées en groupe, en cercle, dans les herbes, entre le vert et l’or d’un pré qui peu à peu s’assombrit. Ce serait plutôt, juste encore visible avant la nuit, comme à la lueur jaune d’une bougie, une sorte de concile chuchotant, de conseil occupé d’on ne sait quel souci. Bêtes dorées par la flamme invisible, tandis que la cire s’épanche et bientôt blanchira au bord du ciel, recevant sur leur front étroit, osseux (presque un crâne déjà) l’huile sainte du crépuscule, l’onction solaire, dans cet enclos bordé d’arbustes. Autour d’elles, qui les garde et les situe, il y a moins une barrière ou une haie qu’un autre cercle, une autre assemblée plus large de feuillage dont l’ombre se creuse, une enceinte qui, plutôt qu’elle ne les enferme, en frissonnant doucement fraie un passage à l’obscur — et, à cause de la fraîcheur, on imagine que c’est la nuit qui monte d’en bas, non la nuit cruelle dont le vide est angoisse sans fond, mais la diaphane, l’arbre veiné d’argent — tandis que les bêtes se serrent au centre encore éclairé, dans ce dernier sursis du jour. De loin, on ne peut deviner ce qu’elles font, si elles broutent, si quelqu’une bêle, si elles écoutent ou attendent. Peu importe. Gardées par l’effusion des profondeurs, dans cette boucle scintillante et fraîche de la nuit imminente, encore aidées par la flamme d’une chandelle que nul ne tient, on les dirait toutes ensemble occupées à épeler tout bas les mots « herbe », « terre », « pacage » ; à moins que ce ne soit « paix infinie », « paix souveraine », « tranquillité dans le centre à jamais ». Dernière leçon dans l’école bocagère, vêpres d’étable dans ces replis des campagnes : la leçon dite et entendue, voici la flamme soufflée, et le doux trait du sommeil fiché en plein coeur de toutes choses.
pp. 98-100.
Longer le pré aujourd'hui m'encourage, m'égaie. C'est plein de coquelicots parmi les herbes folles.
Rouge, rouge ! Ce n'est pas du feu, encore moins du sang. C'est bien trop gai, trop léger pour cela.
Ne dirait-on pas autant de petits drapeaux à peine attachés à leur hampe, de cocardes que peu de vent suffirait à faire envoler ? ou de bouts de papier de soie jetés au cent pour vous convier à une fête, à la fête de mai ?
Fête de l'herbe, fête des prés.
Mille rouges, dix mille, et du plus vif, tant ils sont brefs ! Gaspillés pour la gloire de mai.
Toutes ces robes transparentes ou presque, mal agrafées, vite, vite ! dimanche est court ....
En hommage à Philippe Jaccottet, décédé le 24 février 2021
Mon regard touche à sa limite :
où la course de l'eau dans l'herbe
à des roseaux s'ouvre en écume.
Souffle du vent dans l'herbe
tu peux cribler de flèches cette cible
tu la traverses, tu ne l'atteins pas.
Courez, eaux grises, tout le jour
vers la frontière de roseaux :
elle ne sera pas franchie.
Cours, clair regard, à la barrière,
surprends l'écume :
seul fleurit l'inaccessible.
(p. 69)
Maintenant encore (et pourtant les années auraient dû m'user) il m'arrive de retrouver aussi intense le sentiment qui me vint au commencement, et qui se traduisit aussitôt en moi par le mot : "paradis". Traduction parfaitement absurde à beaucoup d'égards, mais que je dois essayer de comprendre, puisqu'elle est liée au secret poursuivi. Je le dis absurde, d'abord parce que ce paysage n'a rien qui évoque les "terres où coulent le lait et le miel", rien de particulièrement majestueux comme la mer ou les montagnes, ni éclat, ni harmonie, ni sérénité exceptionnels ; ensuite, parce qu'il n'offre pas plus qu'un autre à ses habitants (et moins que certains, plus fertiles et plus charmants) des conditions d'existence idéales ; enfin parce que ma propre vie, dont il formait l'espace, ne me paraissait pas davantage parfaite. Il ne s'agissait donc pas de ce qu'on appelle communément le bonheur, de ces pays qu'on dit favorisés, "idylliques", de ces "séjours de rêve" qui attirent la foule. L'impression n'en était pas moins là, aussi forte qu'apparemment injustifiée.
On marche, on se rapproche, on s'arrête. Personne toujours. Nul qui ouvre la porte des forêts. Tout a-t-il cessé de vivre ? Alors, il apparaît qu'il n'est pas un de ces roseaux qui ne bouge. Un chuchotement rapide passe de l'un à l'autre, un peu plus haut que le sol ; au-dessus, des cris épars d'oiseaux que l'on devine, que l'on perd de vue. Entre le ciel et ses reflets. Rien que l'espace, presque immobile, et au milieu ce murmure, éternel.
(p. 91)
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv :
https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Savez-vous qu'on peut tout à fait lire l'Odyssée sans avoir lu l'Iliade ? Cet extraordinaire poème est l'ancêtre de tous les grands romans d'aventure et d'initiation. Et il est d'une modernité incroyable.
L'Odyssée existe dans de très nombreuses éditions, je vous recommande la traduction magnifique de Philippe Jacottet, en poche, aux éditions La Découverte.
+ Lire la suite