Rencontre animée par Camille Thomine
Depuis l'open space où il travaille comme informaticien pour une grande entreprise, un quinquagénaire en proie aux premiers signes de l'andropause cette érosion progressive du désir masculin s'évade comme il peut. Il se laisse aller à des rêveries érotiques, alimentées par des recherches sur Internet à propos d'une certaine contrebassiste incernable qui aiguise ses fantasmes virtuels.
Deux ans plus tard, le fantasme prend corps sous les traits d'une musicienne en chair et en os. L'enthousiasme de la rencontre, vite frustré par l'incompréhension de la rupture puis par les affres du dépit amoureux, jette le narrateur dans d'intenses divagations. de quelle matière sont faits les fantasmes contemporains ? Comment ceux-ci sont-ils vécus dans un corps qui avance en âge ? Et comment reprendre pied après l'épreuve de la blessure ?
Par ce récit plein d'autodérision et d'un humour à la Monty Python, Philippe de Jonckheere rebat les cartes du tendre, et déconstruit les signes de la masculinité. Il nous montre que le roman d'amour est toujours à réinventer et s'y consacre de façon fort originale, et souvent hilarante.
À lire Philippe de Jonckheere, le rapport sexuel n'existe plus, éd. Inculte, 2021.
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Plus tard, Nathan avait fini par aller se coucher vers onze heures, excédé de fatigue. A minuit, nous nous sommes embrassés sous un rameau de gui, et comme les pétards nous y invitaient dans la rue, j'ai mis son manteau à Madeleine et nous sommes allés faire un tour dans le quartier, nous avons croisé une bande de jeunes qui faisaient claquer quelques pétards et feux de Bengale, nous nous sommes souhaités la bonne année, eux surpris qu'un adulte promène sa petite fille blonde dans les rues et moi surpris par leur politesse à notre égard, des poignées de main que l'on devrait se donner plus souvent.
De fait, j’avais eu l’occasion, à ne pas manquer, d’assister à une répétition générale du Château de Barbe bleue de Béla Bartók, interprété par l’Orchestre de Paris sous l’absence de baguette de Pierre Boulez. Formidable cadeau, s’il en est, que m’avait fait une amie violoniste, que de pouvoir assister à ce filage impeccable, seul dans l’immense théâtre musical de la Ville de Paris — pour l’heure, j’aurais même pu dire que Jessye Norman avait chanté, en hongrois (qu’est-ce qu’on croit ?), pour moi seul.
La musique d'un morceau de Satie, je reconnus que c'était du Satie mais j'étais incapable de deviner le morceau dont il s'agissait, et quelle ne fut pas ma surprise quand je remarquais que cette musique était jouée par deux hommes assez âgés, assis côte à côte devant un piano à queue qui mangeait toute la largeur d'un salon rendu exigu, et qu'ils jouaient à quatre mains sur ce même piano. Qu'ils jouaient fort bien, peut-être pas aussi bien qu'ils jouaient quelques années auparavant avec des mains moins chenues, qu'ils étaient visiblement contents d'être assis, comme cela, l'un à côté de l'autre, goûtant la chaleur de leur amitié, et se régalant sans doute des annotations si courantes dans les partitions de Satie, telles que don't be so proud ― ne soyez pas si fier ― à la fin de chaque morceau, ils dialoguaient paisiblement et chaleureusement, telle mesure leur avait paru améliorable et les voilà qui reprenaient depuis le début, concentrés, et côte à côte. Amis depuis fort longtemps, cela s'entendait au delà de leurs mains devenues moins habiles et moins souples
Le grain. Véritable signature des films rapides de petit format, Robert Frank l’utilise au-delà de ce qu’il était courant de faire à l’époque. De fait les photographes dans les années cinquante n’avaient recours à des films rapides (tels que la TriX de Kodak) que lorsqu’ils faisaient face à des situations à l’éclairage exécrable. Le grain, associé par sa grosseur à la densité d’un tirage aux accents sombres, présente un grand potentiel expressif, expressionniste. Mais là n’est pas aux yeux de Robert Frank, sa seule force ; cette diffraction des cristaux d’argent de l’émulsion – le grain – lui permet de réussir parmi ses plus belles images de lumière.
La matinée passée avec les enfants à Trois Fontaines, belle partie de ballon dans la nef avec Nathan en passoire aux cages et Madeleine comme avant-centre efficace, le goal était souvent battu, à sa décharge ses cages étaient vraiment démesurées. Le parc s'ouvrait aussi à nous, ses seuls habitants, deux ondées nous poussèrent à nous retrancher sous des marronniers épaissément fleuris. Là étendu sous le feuillage et les fleurs rouges, j'observe une buse planer à contre le vent. Mon ventre sert de piste pour les voitures miniatures de Nathan
S'obstiner à travailler dans de telles conditions, c'est sûrement maladif, de même que de faire feu de tout bois, et pourtant les mots sont là, comme la parole est aux bavards, un flot mal contenu dans lequel on trouve de tout, le plus difficile en somme c'est de séparer le grain de l'ivraie, c'est-à-dire de retenir les pépites dans un torrent de boue. Je n'en trouve pas si souvent des pépites, je n'appartiens pas au clan serré des chercheurs d'or heureux, plutôt au groupe indistinct et sans grade des chercheurs d'or pauvres.
Ici on ne supporte pas que des personnes à ce point démunies qu'elles doivent dormir dans la rue, que ces personnes sans logement, prennent refuge dans cette pente qui sans doute les met tout juste à l'abri du vent et de la pluie. Alors on prend des mesures, on vote, et on construit, on construit, à l'économie, des blocs de parpaings et on les assemble de telle sorte qu'il soit absolument impossible de s'allonger d'aucune façon que ce soit...