Citations de Piergiorgio Di Cara (22)
- Je comprends, t'es un ivrogne, alors.
- Non, je suis comme ce détective privé de James Crumley : deux verres d'avance sur le monde réel, trois de retard sur les ivrognes professionnels.
- Qui c'est, Crumley ?
- Un écrivain américain.
- Qu'est-ce qu'il a écrit ?
- Des romans noirs, des polars. C'est un des meilleurs.
- J'aime bien les polars, je lis Agatha Christie.
- Ben, on peut trouver mieux...
Le ciel s'éclaire. Les nuages, noirs, apparaissent en négatif.
On entend un fracas délirant. De vent, de feuillages, de craquements.
Mais surtout la mer.
Un broouumm broouumm.
Un borborygme puissant.
La mer. Des tonnes et des tonnes d'eau saumâtre qui se jettent sur les rochers.
Avec toute son intelligence, l'homme est un caillot de cruauté et de méchanceté, il a le mal en lui, mêlé à son sang, dans les fluides faits d'eau et de mucus il doit y avoir quelque ingrédient bizarre qui lui donne ce raffinement de cruauté.
J'écoutais "The Wall", et je fixais le mur devant moi.
Cloisons, portes-fenêtres avec les stores baissés, cloisons avec tableaux.
Puis, une explosion.
Mais l'appeler explosion est réductif. C'est peu, ce n'est pas exact, ce n'est pas ce que j'ai entendu, moi, ce n'est pas ce qu'a entendu la ville entière. Ce n'est pas ce qu'a entendu la ville entière. Ce n'est pas ce qu'ont enregistré les sismographes, comme une secousse d'un tremblement de terre.
L'appeler explosion, ce serait comme de comparer un pet à un pétard.
Le trajet de la Brigade à la maison.
Me frappe d'une avalanche d'odeurs.
Les senteurs de la chair carbonisée.
Du plastique brûlé.
Des cris brisés.
Des corps inertes.
De moi.
Qui regarde, défait, le triomphe de la barbarie.
Qui contemple le mal.
Durant la journée , les fantômes ,je les tiens en respect.J'arrive à les enfermer quelque part ,dans une espèce de tiroir d l'esprit.Je les mets dans l'armoire blindée de la lucidité, de la présence.La routine du travail s'élargit sur les zones d'ombre et les éclaire.
Un lac.
Un petit lac, je devais dire, à peine plus qu'une mare, beaucoup moins qu'un lac.
Les eaux sont sombres. Une plage de sable noir, de roches noires, tourmentées et froissées, recroquevillées.
Autour, juste à la limite du lac, une végétation luxuriante. Pins, buissons aquatiques, et les habituels arbres inconnus.
J'ai peur de ce coup de feu. J'étais là, terrorisé, paralysé, immobile comme un couillon, incapable de faire ou de penser quoi que ce soit. Là, comme un bout de bois, une statue, une cible.
Je pense à tant de choses à la fois qu'aucune ne s'imprime dans mon esprit. C'est comme si les idées couraient à une vitesse folle, ou plutôt comme si c'était ma conscience qui se déplaçait sur un tapis roulant et que tout autour, immobiles, se tenaient les instants de ma vie, mes intuitions, toutes les paroles que j'ai prononcées et qu'on m'a dites. Une espèce de voyage dans un tunnel dont les parois sont faites d'existence.
Nous partons.
Deux heures de voiture environ, quasiment un voyage pour nous autres, Siciliens. Vraiment, pour moi deux heures de route c'est un voyage et moi, je n'aime pas voyager.
Le voyage, ça me stresse, ou plutôt, ce qui me stresse, c'est la préparation.
Je me demande pourquoi le sang d'une personne pue autant, il me vient l'idée que ça a quelque chose à voir avec l'essence propre de l'homme, qui est mauvaise et cruelle.
L'autoroute elle-même fut conçue sans bande d'arrêt d'urgence. Et les aires survivantes ont été phagocytées par les chantiers.
Il me monte une fureur, une férocité prolétarienne, une indignation furibonde contre une classe dirigeante totalement incapable de prendre en charge les intérêts du plus grand nombre, et au contraire concentré sur ses propres affaires, qui provoque chez moi une onde d'indignation sous forme d'injures.
L'alarme est dans les grands trafics de drogue. Sûrement pas dans le petit deal. Et pourtant, il n'y a pas un gouvernement qui ne se remplisse la bouche de déclarations du genre : plus de sécurité. Et d'annoncer de profondes réformes de la gestion de la sécurité publique.
De mon point de vue, l'alarme est représentée par les grandes organisations criminelles, par les associations mafieuses qui réussissent à imposer leur contrôle total sur le territoire. En encaissant l'impôt du racket, par exemple, en manipulant la gestion des marchés publics, en polluant le bon fonctionnement de la machine administrative. En infiltrant les institutions en plus d'influer sur les choix électoraux.
le fait est qu'on ne s'improvise pas "enquêteur". il ne suffit pas de se mettre en civil, de porter les cheveux longs et la boucle d'oreille pour être inspecteur de police judiciaire. Tout au contraire, la Judiciaire est une tournure d'esprit. Il s'agit de partir du présupposé que nous sommes payés pour soupçonner tout et tout le monde.
Il fume des Gauloises. J'en ai fumé quelquefois, c'est excellent. je pense que les cigarettes disent beaucoup sur les gens, elles donnent des indications sur leur caractère. par exemple, les gauloises me donnent l'idée d'un type décidé, fort, d'un bon niveau culturel. Quelqu'un qui lit les classiques français, je dirais, entre Camus et Sartre. Qui aime le noir anar à la Léo Malet, ou les films avec Jean Gabin et Yves Montand.Qui préfère le vin au champagne et le Pernod au bourbon. Qui sait, peut-être qu'il aime le rugby.
Pour un Palermitain comme moi, l'"arancina" est plus qu'une religion, c'est une philosophie de vie, voilà. les arancine sont notre invention, nous la revendiquons, comme un brevet.
Un de ces étés absolus comme il y en a seulement en Sicile. Absolus parce qu’on a la sensation d’être libéré du temps. Un soleil qui semble peint, un ciel si bleu, au point de disparaître, une mer si bleue qu’elle paraît violette. Qu’elle ressemble à du vin, dit Sciascia. Un de ces vins rosés et forts qui ont enivré le Cyclope, qui vous chauffent l’estomac et vous allègent la tête, l’enveloppant dans une symphonie de cigales, comme le clapotis de l’eau contre la quille d’une barque.
PLAN UN
La caméra cadre une montagne pelée, tachée d’un vert sombre profond, rare, fond brun de roche.
Une inscription blanche, gigantesque :
HOLLYWOOD
En musique de fond, un blues déchirant.
La caméra élargit le champ : maisons aux angles de vieux vases ébréchés. Murs rouges et blancs délavés. Impression d’une grande confusion. On dirait une Los Angeles mexicaine.
C’est Palerme.
Je n'aime pas penser à l'ogre, à l'homme noir, ce serait pratique si c'était comme ça. Mais c'est plus complexe, c'est un ensemble d'occasions, de hasard et de chance. C'est le sort qui décide de nos destins, c'est le centre de triage là-haut, au ciel.