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Citation de ZahraAroussi


Ce dont on se souvient, c’est surtout de ça, du mauvais. Le reste, les heures accordées, ce qui est là, grand-père et tant d’autres, on n’en tient pas compte et, après, on ne se rappelle plus. Les bons moments s’abolissent. La perfection de la vie, c’est le présent pur, sans la traîne sombre de réclamations et de remords, derrière, ni, devant, dans l’avenir, la nécessité de l’effacer par un acte de réparation opposé à chacun des actes laissés inachevés. C’est ainsi, sans doute, que l’autre, sous sa cuirasse, voit les choses, l’angélique et les roses, l’heure qu’il est, et rien d’autre à nul autre moment. Et si on veut la garder, vers cinq ans, ce serait pour participer, à quelque degré, du repos, de la plénitude qu’on lui suppose et qui nous ont été refusés. Ce qui nous comblerait est resté dehors. On ne dispose pas des moyens de se l’approprier. Le monde, ou le décor cartonneux qui en tient lieu, nous est retiré dans le même temps, presque, qu’il nous est livré. Mais on tient registre. On s’éloigne, à reculons, de la paix qu’on voit aux arbres, aux insectes, aux effigies casquées, tout armées, de bronze. On est entraîné si loin qu’on va désespérer d’obtenir quoi que ce soit qui nous aurait, un peu, apaisés. Et pourtant, une main qu’on s’ignore inscrit scrupuleusement chaque honte, perte et dommage, comme si elle savait ce qu’on ne peut encore imaginer : qu’il y aura une fin et qu’elle doit coïncider avec le commencement, le commencement du commencement, avant le premier découvert et la première noirceur. Ou, pour dire les choses autrement, qu’il y a quelqu’un, dans l’air, la lumière – un adulte – que le gosse ne voit pas parce que le moment n’est pas venu. C’est le tour du gosse. Et quand l’adulte va se dessiner, prendre corps, qu’un tiers assis à l’écart, sous les catalpas, verra un adulte dans l’allée sablée, le gosse aura disparu. Du moins, c’est ce qu’on croit parce que c’est ce qu’on voit. Mais avec d’autres yeux, qui nous montreraient la vibration de la lumière, ses corpuscules, la fuite des jours, la dérive des mondes, l’éternelle métamorphose, on devinerait, à trois pas du gosse, l’adulte pour qui, sans savoir, le gosse tient registre et, plus tard, près de l’adulte aux traits marqués, l’ombre pâle, petite, impérieuse, qui lui dicte ses agissements. Et l’autre obéit. Il n’a pas le choix, pas plus qu’on ne l’a eu quand on s’est trouvé inséré dans la gousse de chair, pour la durée de l’intermède, et ce qu’il y avait de beau, de plénifiant, de l’autre côté du tégument, dehors. Tout ce qu’il peut faire, l’adulte, c’est de reprendre point par point la litanie, d’ouvrir en regard, si l’on veut, une autre colonne, une comptabilité en partie double où chaque déficit sera compensé, annulé.
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