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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Prologue

Pierre ! Assis devant un ordinateur posé sur le bureau de ton père et avec la médaille en bronze à portée de main, « feriam sidera » (je frapperai les astres) que tu as obtenue en remportant la coupe Military Zenith de 1932 – tu étais alors capitaine de la troisième escadrille d’observation de la 33ème Escadre dans laquelle Saint-Exupéry a servi en 1940 – j’écris cette histoire qui est aussi la mienne. Je me mêle ainsi des affaires de notre famille et donc des tiennes mais aussi des affaires de la France.

J’aurais dû naître en Flandre où ton frère et ta bellesoeur vivaient au début des années cinquante. Ton frère n’aimait pas l’idée d’une naissance flamande, et ta bellesoeur voulait un centre de maternité réputé. Je suis sorti des limbes à la clinique de luxe Belvédère à Boulogne-
Billancourt devenue aujourd’hui Montevideo, traduction exacte en espagnol, peut-être pour garder une référence au passé et pour assurer une continuité entre l’accouchement
et le sevrage puisqu’elle soigne maintenant tous les types d’addiction. En tout cas, je ne sais pas d’où cela me vient, mais je suis accro à la vérité.

Pour me soigner, je pratique la narration en frappant les touches du clavier de mon ordinateur. En celte, cette langue qui a été parlé dans une grande partie de l’Europe pendant des centaines d’années, avant et après la conquête romaine, « bi » signifie aussi bien « exister » que « frapper ». Je frappe pour toucher les astres et retrouver ta mémoire. Affaire de revenant.

Mes parents m’ont appelé Pierre en souvenir de toi, mon oncle, « pilote mort au début de la guerre de 40 à l’occasion d’un vol d’observation qui n’aurait pas dû t’incomber en tant que commandant, plus jeune chef d’escadron de l’Armée de l’air française», c’est du moins ce que m’a dit ton frère, l’auteur de cette version de ton histoire. Tu sais comment il était, avec sa posture d’ingénieur sérieux, donnant toute l’apparence d’un homme s’en tenant aux faits. Longtemps, je n’ai pas eu de raisons particulières de mettre en doute ses paroles que je prenais pour la vérité. Et puis qu’est-ce que j’y connaissais moi à la guerre de 40 ?

Pendant toute ma vie, j’ai entendu et espéré – et c’est resté une vérité et même un fait jusqu’à aujourd’hui – que « c’était fini, qu’on n’aurait plus jamais de guerre mondiale ». Pour moi, au début, c’était clair, je ne serai jamais militaire, la guerre faisait partie de la grande Histoire et je n’aurai jamais à la faire. Mais cela s’est vite gâté. Très tôt, j’ai entendu parler des événements d’Algérie qui ressemblaient à une guerre, même si, officiellement ce n’en était pas une, c’était une opération de maintien de l’ordre. Le général de Gaulle qui en rappelait une autre de guerre est arrivé et il n’incarnait plus seulement la grande Histoire avec son appel du 18 juin 1940, sa résistance au nazisme, il faisait l’actualité en faisant torturer et tuer ceux qui voulaient leur indépendance nationale, au nom de la raison d’État. À la sortie de l’école, je voyais les murs de Paris, où mes parents s’étaient installés à leur retour de Dunkerque, infestés de slogans
signés par l’OAS qui défendait la colonisation à coups d’attentats en Algérie mais aussi en France contre des cibles diverses, dont plusieurs sur la personne du général de Gaulle.

J’ai découvert alors qu’il y avait en France des hommes politiques plus à droite que lui.
Pendant mon adolescence, je me suis déniaisé avec mai 68, j’avais alors 15 ans et j’arpentais le Quartier latin à l’affût de toutes les discussions qui me sortaient des schémas de pensée de mon milieu et un peu plus tard avec la Beat Generation de Kerouac, Burroughs, Ginsberg
et des polyphonix de Jean Jacques Lebel au centre américain.

Leurs voyages spirituels politiques et poétiques, leurs révoltes contre la guerre du Vietnam, m’ont ouvert de nouvelles voies.
Dans la famille, les seules histoires de la guerre de 40 dont on entendait parler un peu, c’était celles de ton frère résistant. Pour nous, ses enfants, sa résistance était devenue un fait acquis : quelques missions de renseignements, des convoyages de pilotes anglais ayant sauté en parachute de leurs avions abattus jusqu’aux bases de repli vers l’Angleterre et des balisages de terrains pour le largage d’armes. Rien de très violent, mais, cela nous suffisait, on avait un père résistant, même s’il ne cherchait pas à passer pour un grand héros ! Par ailleurs, cela me paraissait un peu bizarre pour un résistant, il se disait anti-gaulliste à cause du caractère autoritaire du général et sans beaucoup plus d’analyses politiques, il se déclarait centriste.

Dans son histoire, je retenais surtout son esprit d’indépendance, son rejet du nazisme et son opposition au maréchal collaborationniste aussi bien qu’au général s’accaparant le destin de la France.

J’écoutais Georges Brassens dénonçant toutes les guerres y compris celle de 40 :

L’un aimait les Tommies, l’autre aimait les Teutons,
Chacun, pour ses amis, tous les deux, ils sont morts
Moi qui n’aimais personne, je vis encore
Qu’il est fou de perdre la vie pour des idées,
Des idées comme ça, qui viennent et qui font
Trois petits tours, trois petits morts, et puis s’en vont,
Qu’aucune idée sur terre est digne d’un trépas,
Qu’il faut laisser ce rôle à ceux qui n’en ont pas,

et l’appel à la désertion de Boris Vian :

Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président

Alors, je me suis fait réformer au centre de sélection du fort de Vincennes pendant mes « trois jours » qui était réduit dans les années 1970 à une journée pour les appelés au service militaire. On m’a trouvé inapte, inadapté, dérangé de la tête. J’ai un peu orienté le diagnostic avec mes réponses, mais bon, c’était clair, je n’irai pas à la guerre, quoi qu’il arrive. Pour ne pas en rester là et me prouver que je n’étais pas un si mauvais numéro, je suis assez allé passer un
nouvel examen avec l’identité d’un copain qui, lui, voulait faire son service - quelle drôle d’idée ! - mais qui s’était luxé le genou en faisant le con sur la plage. J’avais donc pris sa place, même s’il était plutôt brun sur la photo de la carte d’identité et moi plutôt châtain clair. Mais cela a marché, cette fois-là, je n’ai rien raconté de spécial à l’officier psy et j’ai été déclaré bon pour l’Armée, enfin pas moi vraiment, mais le copain qui voulait y entrer.

Tu vois, ma période militaire a été limitée au maximum. Longtemps, j’ai entretenu l’illusion de pouvoir échapper à un passé familial trop pesant. J’avais d’autres histoires à régler ! Incapacité à tout affronter en même temps ! Alors, les années ont passé mais les zones d’ombre ont fini par éveiller ma curiosité. Pour toi, mon oncle, cela m’a pris après la mort de mon père.
Il est parti avec ton histoire. Seulement après sa disparition, un vide m’est apparu, ton image manquante a fait son oeuvre. Pas de photos, pas d’enfants, pas de femmes, pas de
traces ou si peu.

Pendant mon enfance, quand je pensais à toi, j’étais fier de devoir mon prénom à un homme-oiseau qui scrutait l’ennemi d’en haut au lieu de le tuer et qui était mort en volant à la place de ses hommes. Plus guetteur que guerrier, plus albatros qu’aigle.

Et puis, en l’absence de mon père, des doutes ont commencé à émerger et je me suis autorisé à faire des recherches sur toi. Dans la famille, personne ne pouvait me donner la moindre information. Par ailleurs, j’ai découvert que beaucoup d’historiens sont allés voir derrière le ciel de la campagne de France qualifiée de vide par ceux qui ont fait de l’aviation le bouc émissaire de la défaite. Et ils ont révélé des histoires qui m’ont ouvert des perspectives.

Pour savoir qui tu étais, il me restait l’Armée. Toutes les archives des personnels militaires étant consultables à Vincennes, je n’avais plus qu’à franchir les portes du fort sans risquer cette fois l’embrigadement mais pour éclairer ton passé, donc celui de la famille et le mien.
Après toutes sortes de péripéties administrativo-militaires, un soldat a déposé sur la table à la place qui m’avait été assigné dans la salle de lecture Louis XIV un carton épais à ton nom. Je l’ai ouvert avec impatience et une forte émotion m’a gagné au vu de la première information qui
m’a sauté aux yeux.

En mai 1940, tu n’étais pas commandant d’un groupe d’observation, mais d’un Groupe de
bombardement d’assaut chargé d’attaquer en vol rasant les panzers allemands qui envahissaient la France.
Tout de suite après, m’apparut une autre nouveauté, tu t’étais marié le 29 mai 1937 avec Renée Lissiansky née Siegmann après autorisation du Ministre de l’Air Pierre Cot. Ainsi, j’avais aussi une tante « israélite », d’après une mention soulignée ! J’ai lu avidement tout ce qui était
disponible sur toi et ton groupe.

Lors d’une pause, je suis allé prendre un café et j’en ai profité pour faire le tour du hall d’entrée du bâtiment des archives et je me suis intéressé aux vitrines qui illustraient chaque arme. En fait, je me suis surtout arrêté devant celle de l’aviation et je ne pouvais pas le croire, elle était justement dédiée à ton groupe, le 2/54 ! Un premier panneau expliquait que vous aviez perpétué la tradition de la SAL1, une des escadrilles les plus prestigieuses de la Grande Guerre et que vous aviez reçu une citation à l’ordre de l’Armée pour votre action au feu en mai 40 et sur le deuxième, le texte de la citation était reproduit : la croix de guerre avec palme attribuée
au GB2/54, Groupe de bombardement d’assaut d’élite, pour son ardeur au combat sous l’impulsion de son chef, le commandant Pierre Grenet. C’était comme si tu représentais à toi seul l’honneur de l’aviation militaire française.
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Elle s’élance vers la plate-forme de béton qui semble ancrée dans la terre, déposée par une soucoupe volante.
La boue grise se transforme par alchimie en surface dure, une longue table lisse de deux cents mètres au-dessus d’eaux agitées par un fort courant. Un enfant d’une dizaine d’années fait des acrobaties avec son vélo sur cette belle piste dégagée. Camille saisit cette image insolite de poste frontière désertée par la vie. Il roule et s’approche intrigué par la caméra. Camille s’est installée à côté du panneau indiquant « Republica Argentina ».

– Bonjour, tu t’appelles comment ? lui demande Camille.
– Pedro.
– Tu es argentin ou paraguayen ?
– Wichi, qu’est-ce que tu fais ?
– Tu vois, je filme la frontière.
– Ça sert à rien, cette frontière, mais j’aime bien le pont, mon vélo roule mieux dessus que sur la terre.
– Tu m’aides à descendre, je voudrais le filmer d’en bas.
– Oui, dit-il en déposant son vélo sur le bas côté.

Osvaldo qui observait la scène de loin, s’approche pour les accompagner.
Les berges très sablonneuses descendent en pente douce vers l’eau. Camille filme le parapet du pont de béton flanqué de cinq piliers en formes de bipèdes. On dirait une chenille coincée entre les deux rives. Sur ses
pieds se sont accumulés des amas de branches et de sédiments comme quand on se met en travers du courant sur une plage pleine d’algues.
– Tu vois, il se transforme de plus en plus en une digue.

Tout le cours du fleuve est perturbé en amont. Au moment des crues, cela provoque des inondations et des zones entières se transforment en marais, souligne Osvaldo et ajoute ironique :

– Si tu veux te baigner, il vaut mieux aller de l’autre côté, l’eau est plus propre. Ce magnifique pont retient tout. Avant qu’on ne le dynamite, autant profiter des rares effets positifs qu’il apporte.
Ils passent sous le pont. Pedro reprend son vélo et ses acrobaties sur sa piste de jeu.
– Je t’accompagne, dit Camille, mais je ne sais pas si j’irai dans l’eau. Cela m’impressionne un peu, même si je crève de chaud.

Osvaldo s’est déjà débarrassé de ses vêtements et crie depuis le fleuve :

– Dans ce coin, il n’y a que des poissons inoffensifs. Crois-moi, j’ai l’habitude !

Camille ne résiste pas longtemps. Elle a barboté dans l’eau depuis son plus jeune âge, avant même de marcher.
C’est son élément. Elle compte sur Osvaldo pour chasser d’éventuels intrus.
C’est la renaissance, ses membres se détendent, la température de son corps retrouve un niveau agréable, elle fait quelques brasses dans cette eau descendue des Andes et sort.
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Hamlet de Saavedra : Enrique Mosconi (le roi Hamlet
père), le fondateur de l’entreprise publique YPF a été
assassiné par une oligarchie locale (Claudius, frère du
roi) qui a pris le pouvoir et s’est emparée de la belle YPF
(la reine Gertrude), peu de temps après. Le spectre du
roi Hamlet revient sur terre et pousse son fils, le prince
Hamlet (vous, les piqueteros) à se venger, en épargnant
YPF qui a été abusée. Toi, Lucho, jouerais le spectre de
Hamlet – Mosconi, cela tombe bien, tu lui ressembles et
le prince Hamlet serait un collectif de piqueteros.
Le fantôme du roi assassiné Hamlet, dans la pièce de Shakespeare, dénonce son frère comme l’auteur du crime commis à son encontre : il lui aurait versé un poison mortel dans l’oreille. Si on transfère la scène dans le contexte de Saavedra, cela devient : le concert médiatique
orchestré par l’oligarchie à l’affût des privatisations
affirme que l’entreprise publique YPF n’est pas rentable,
que le roi Hamlet – Mosconi est incapable d’exploiter
les fabuleuses ressources pétrolières du pays et de chérir
comme il se doit le joyau Gertrude – YPF.

Ce discours empoisonné légitime la mort du service public. On verrait les militaires de la dictature organiser la corruption pour affaiblir YPF et le syndicat bureaucratique CGT négocier avec les gouvernements qui projetteraient son démantèlement.
Les mots venimeux seraient l’arme de propagande
qui viendrait à bout des résistances politiques des travailleurs et des défenseurs de la gestion publique. Le
Roi Hamlet – Mosconi dénoncerait son fils Claudius –
l’oligarchie locale comme les coupables de son assassinat.
Le prince Hamlet et les piqueteros seraient traités de
« fous » parce qu’ils barrent les routes.
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Pierre ne renoncera pas à sa mission. Il n’aura pas l’argument du rendez vous manqué avec la chasse de protection. Elle n’est pas prévue. Les Morane ne sont pas assez rapides pour suivre les Breguet et donc les protéger efficacement et de plus, les chasseurs ont de multiples autres missions à assurer ce jour là autour des terrains d’aviation, des gares et des transports de troupes contre les bombardiers lourds allemands Dornier 17 et Heinkel 111 et leurs chasseurs de protection, essentiellement des Messerschmitt 109 et 110.

On saura plus tard que la chasse française a obtenu, ce 18 mai, 24 victoires
sûres et 12 probables et n’a subi que 19 pertes.
Une bouffée d’adrénaline envahit le cerveau de Pierre. Il se concentre
pleinement sur cette mission qui, comme toutes, peut être la dernière. Il a la conviction d’être présent là où il faut être. Déterminé, il regroupe ses forces. Il ne se sent pas grisé par les aventures de guerre. Il n’attend pas avec impatience le prochain duel dans les airs dans lequel il pourra briller avec ses acrobaties. Il se prépare à stopper la machine de mort qui déferle en face. Il ne cherche pas non plus le sacrifice pour expier de prétendues fautes. Il n’attend rien, après sa mort, tout sera fini pour lui.
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Il y a quelques années, vingt-sept communautés wichi, qom et iyojwaja ont tracé ensemble une carte des récits ancestraux.
Nous avons localisé un millier de sites dans nos différentes langues où des événements se sont produits et ont été racontés oralement. Cela concerne des lieux de pêche, des chemins, des histoires avec les animaux, les grandes batailles, tout ce que les anciens apprennent aux jeunes pour qu’ils soient pleinement membres de la communauté. Sont ainsi apparus tous les espaces parcourus par chaque communauté et les superpositions.
Il s’agissait de reconquérir l’espace avec notre savoir et notre façon de penser qom.
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