L'amante macabre (extraits)
Elle était toute nue assise au clavecin ;
Et tandis qu'au dehors hurlaient les vents farouches
Et que Minuit sonnait comme un vague tocsin,
Ses doigts cadavéreux voltigeaient sur les touches.
Ma spectrale adorée, atteinte par la mort,
Jouait donc devant moi, livide et violette,
Et ses cheveux si longs, plus noirs que le remords
Retombaient mollement sur son vivant squelette.
Auprès d'elle une bière en acajou sculpté,
Boîte mince attendant une morte fluette,
Ouvrait sa gueule oblongue avec avidité
Et semblait l'appeler avec sa voix muette.
Maurice Rollinat
UN HOMME
Lorsque combattant pour sa patrie, il eut perdu un bras, il prit soudain peur :
"Désormais, tout ce que je ferai, sera fait à moitié.
Je ne ramasserai que la moitié des récoltes,
tandis qu'au piano, je ne jouerai que la mélodie ou que l'accompagnement, jamais les deux portées ensemble.
Je ne pourrai frapper que d'un seul poing dans les opiniâtres vieilles portes,
et la bien-aimée, je ne pourrai l'étreindre qu'à moitié.
Il y aura des choses que je ne pourrai faire du tout :
applaudir, par exemple, aux fêtes où chacun applaudit."
Dès ce moment, il se mit à tout faire
avec deux fois plus d'ardeur.
Et à la place du bras arraché,
une aile lui poussa.
Nina Cassian (Roumanie - XXème)
LEGENDAIRE CHAQUE JOUR (extrait)
ni ici ni l'exil
mais notre histoire est la langue
que je parle à travers ma langue puisque
je suis le sens qu'elle n'a pas qui parle
non d'un lieu sous nos pieds
mais qui se tient et se devance de ne pas savoir
nous qui sommes présents parce que nous fêtons les anniversaires de l'avenir
plus que du passé
HENRI MESCHONNIC (XXème)
L'ESCAPADE DES SAISONS
Je t’aimais
Dans l’orage des sèves
Je t’aime
Sous l’ombrage des ans
Je t’aimais
Aux jardins de l’aube
Je t’aime
Au déclin des jours
Je t’aimais
Dans l’impatience solaire
Je t’aime
Dans la clémence du soir
Je t’aimais
Dans l’éclair du verbe
Je t’aime
Dans l’estuaire des mots
Je t’aimais
Dans les foucades du printemps
Je t’aime
Dans l’escapade des saisons
Je t’aimais
Aux entrailles de la vie
Je t’aime
Aux portails du temps.
(Andrée Chedi, "Rythmes", éd. Gallimard, 2003)
Enfin vous voilà donc,
Ma belle mariée,
Enfin vous voilà donc,
À votre époux liée
Avec un long fil d'or
Qui ne rompt qu'à la mort.
(Chanson de la mariée)