Opinion et comportements collectifs sous Vichy. Par Pierre Laborie, directeur honoraire détudes à lEHESS, historien spécialiste de lopinion publique sous le régime de Vichy.
« L’historien et l’événement » rappelle d’abord les lignes de force méthodologiques de près de cinq décennies de recherche. Avec notamment le projet de direction d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (1998), exercice d’auto‑ analyse d’un historien en pleine maturité, on entre dans l’atelier d’un chercheur qui dévoile en partie son parcours, ses interrogations et ses influences. « Les Français dans la guerre » s’attache ensuite à décrypter dans leur diversité la complexité des attitudes ordinaires sous Vichy et l’Occupation. Dans un pays au territoire éclaté, enserré dans une chronologie bousculée par les traumatismes, les incertitudes et les espoirs, une palette nuancée de comportements collectifs irréductibles aux oppositions binaires se dessine. La mémoire de la Grande Guerre, l’effondrement de 1940, les rafles antisé‑ mites de l’été 1942, les maquis et la Résistance, la Libération et l’épuration… autant de réalités dont l’expérience directe ou indirecte forme la matrice d’une société en guerre. Enfin, « Écriture de l’histoire, récits et enjeux mémoriels » revient sur les conditions et les spécificités d’une histoire du très contemporain confrontée aux enjeux de mémoire, aux récits et aux discours qui fabriquent des images de plus en plus éloignées du savoir. Ainsi, avec « Le Chagrin et la Mémoire » (1981‑1983), article en chantier consacré à la réception du film documentaire Le Chagrin et la Pitié, Pierre Laborie indiquait déjà les voies d’un nécessaire travail de déconstruction des lieux communs sur les années 1940. Jamais publié, inédit, ce texte préfigure Le Chagrin et le Venin (2011).
"À côté d'une critique méthodique du film et de la mise au jour d'artifices de montage mis au service d'une volonté de démonstration, elle s'interrogeait sur les causes du succès du film et de la large adhésion à ce qui était présenté comme son propos majeur :
«la France s'est aplatie devant l'occupant et dans bien des cas lui a prêté main forte.»
Les raisons tenaient à la culture du milieu de «l'intelligentsia gauchisante» dont, pour elle, le cinéaste était à la fois le produit et le miroir, à sa fascination pour le ratage, la faillite, l'étalement complaisant de la veulerie :
«Ce qui a plu dans ce film c'est l'écrasement des valeurs à un même niveau de médiocrité. [... ] Tout se vaut. L'événement est ravalé à la seule dimension de la mémoire tremblotante et habilement dirigée...»
L'explication portait elle-même la marque des bousculements et des incompréhensions du temps, celles des lendemains difficiles de mai 1968. [...]"
(page 105)
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Dès le 20 juin , Weygand tire les leçons d'une défaite méritée et dénonce "l'esprit de jouissance et de facilité" pour appeler à la mise en pratique d'un idéal résumé à la trinité : Dieu , la Patrie , la Famille . Le jour suivant , sur le même ton , le maréchal Pétain énonce les phrases fameuses : "Depuis la victoire , l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice . On a revendiqué plus qu'on n'a servi . On a voulu épargner l'effort , on rencontre aujourd'hui le malheur" , avant d'y revenir encore le 26 juin . Après avoir répété une fois de plus que la défaite est venue de "nos relâchements" et que "l'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié" , il enfonce le clou : "Vous avez souffert , vous souffrirez encore ...votre vie sera dure ."
La réparation par la souffrance , l'autoflagellation et les délices de la mortification collective sont dans l'air du temps .
"[...] À côté d'une critique méthodique du film et de la mise au jour d'artifices de montage mis au service d'une volonté de démonstration, elle s'interrogeait sur les causes du succès du film et de la large adhésion à ce qui était présenté comme son propos majeur :
«la France s'est aplatie devant l'occupant et dans bien des cas lui a prêté main forte.»
Les raisons tenaient à la culture du milieu de «l'intelligentsia gauchisante» dont, pour elle, le cinéaste était à la fois le produit et le miroir, à sa fascination pour le ratage, la faillite, l'étalement complaisant de la veulerie :
«Ce qui a plu dans ce film c'est l'écrasement des valeurs à un même niveau de médiocrité. [... ] Tout se vaut. L'événement est ravalé à la seule dimension de la mémoire tremblotante et habilement dirigée...»
L'explication portait elle-même la marque des bousculements et des incompréhensions du temps, celles des lendemains difficiles de mai 1968. [...]"
(page 105)
Les silences parlent. Silence de mort. Silence de dignité. Silence de maturation. Silence de recueillement. Silence de prudence. Silence de servilité. Silence qui est un acte.
(mots rapportés par Pierre Laborie : de Jules Saliège , archevêque de Toulouse, le 16 mars 1941 qui parlait contre les persécutions dont les Juifs étaient victimes)