Le vase sacré — l’insaisissable coupe d’immortalité destinée à l’unique élu — est un symbole traditionnel utilisé par nombre de récits mythologiques ou religieux, à toutes les époques et aux quatre coins du monde. Le plus illustre de tous les récipients symboliques est bien entendu le Graal, le « Saint-Vaissel » quêté par la chevalerie spirituelle du Moyen-âge et qui, depuis lors, n’a plus cessé de tracasser l’imaginaire collectif et d’alimenter moult spéculations philosophiques à son égard.
Or, ayons bien à l’esprit que le mystérieux objet graalique conté dans les romans médiévaux de la Table-Ronde, et plus tard par Rabelais avec sa « dive bouteille » contenant le « vin tant divin », a eu d’innombrables devanciers chez les peuples les plus divers.
Les légendes populaires et autres contes de fées, en tant que précieux échos et lointains vestiges d’antiques traditions aujourd’hui disparues, ont conservé la mémoire de ce réceptacle magique ― plein de promesses de jouvence et de félicité ― à travers, entre autres, les images archétypales bien connues du coffre au trésor gardé par dragons et pirates, du bol du dieu déguisé en mendiant, de la coquille du pèlerin de Saint-Jacques, de la divine fleur de lotus des poètes orientaux (ou de la rose ésotérique des troubadours occidentaux), de la lampe d’Aladin réalisatrice de tous les vœux, ou encore, de la hotte débordant de cadeaux du Père Noël. Songeons similairement au comportement collectif actuel, inconscient et parodique (comme du reste tout ce que produit le monde moderne), consistant à recevoir et à lever une coupe lors d’un succès à quelque match sportif.
Le peuple, sans se rendre vraiment compte de la sagesse et de l’universalité cachée derrière ses propres pratiques coutumières, garde et perpétue au fil des générations — parfois sous les reliquats très dégradés d’un folklore sans âme — d’authentiques mines de symbolique traditionnelle, de thématiques initiatiques et de vérités métaphysiques.
Par plaisanterie nous dirons que les contes et légendes, connus pour endormir les enfants, servent surtout à éveiller les adultes.
La fonction de conservation attachée au peuple se retrouve également dans le fait que de nombreux protagonistes de contes et légendes sont en fait d’authentiques divinités qui ont été connues et adorées par des civilisations anciennement disparues et dont la forme a évolué avec le temps.
Le folkloriste Henri Dontenville en a notamment offert une belle illustration en démontrant que notre bon vieux géant Gargantua n’est autre qu’une déformation progressive de l’archaïque dieu solaire indo-européen Gargan et que, généralement, fées, ogres, et autres vouivres de notre campagne, sont de lointains échos des dieux et déesses adorés anciennement par les peuples celtes.
Du reste, il est bien connu que de nombreux Saints et Saintes ne sont en réalité que des transpositions, dans le cadre de l’imaginaire populaire chrétien, d’antiques dieux païens. Saturne est devenu ainsi Saint Saturnin, Dyonisos, Saint Denis, Sophia, Sainte Sophie, Mars, Saint Martial, Apollon, Saint Apollinaire, etc. De la même manière que la coutume paysanne de l’escalade du mât de cocagne constitue vraisemblablement un atavisme d’ancestraux rites d’ascension shamaniques, ou encore que le jeu de la marelle pratiqué encore dans les cours d’écoles représente un cheminement archétypal tout à fait ésotérique et initiatique, partant de la terre en direction du ciel en passant par sept étapes, à l’image du franchissement des sept orbes planétaires ou de l’échelle nitriaque faite de sept degrés.
Sait-on également que le personnage du Petit Poucet est un souvenir lointain du grand dieu hindou de la lumière et du feu, Agni ? Lui qui a plusieurs reprises est surnommé « l’homme de la grandeur du pouce » dans le Rig-Veda, où il est revêtu, dans certains hymnes, des mêmes attributs symboliques que notre héros de contes pour enfants ? Sait-on que Blanche-Neige incarne la psyché humaine, que son empoisonnement correspond à l’oubli de sa condition édénique originelle (comme Eve, elle croque la pomme maudite tendue par la mégère, qui, tel le serpent génésiaque, représente le principe d’individuation, l’ego narcissique qui se regarde constamment dans le miroir), que les sept nains sont les puissances ontologiques infrahumaines dont il faut progressivement se défaire, que le réveil, via le baiser du prince charmant, figure l’illumination intellectuelle provoquée par le souffle du spiritus, pneuma, et que leur mariage heureux marque la réintégration finale à l’état d’être paradisiaque ?