AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de ChouettedeMinerve


" Il a jamais rien fait d'autre que battre la feuille, sauf quand ils l'ont fait prisonnier et envoyé en Allemagne. La feuille de cuivre, et avec le cuivre, vu qu'alors c'était pas encore la mode de l'acier inoxydable, il faisait tout : des vases, des marmites, des tubes, et même des alambics, sans le poinçon des Finances, pour faire de l'eau-de-vie de contrebande. Dans mon pays, parce que moi aussi je suis né là-bas pendant la guerre, tout le monde battait le cuivre ; ils faisaient surtout des chaudrons de cuisine, des gros et des petits, étamés de l'intérieur, parce que chez nous, justement, magnino* ça veut surtout dire étameur, le type qui fait les marmites et qui les étame, et il y a pas mal de familles qui s'appellent Magnino encore maintenant et qui peut-être bien savent plus pourquoi.
" Vous le savez que, quand on frappe le cuivre, il s'écrouit, il devient plus dur ?..."
Oui, je le savais : comme ça en parlant on a découvert que, bien que n'ayant jamais battu la feuille, j'avais moi aussi une longue familiarité avec le cuivre, faite d'amour et de haine, de batailles silencieuses et acharnées, d'enthousiasmes et de fatigues, de victoires et de défaites, et riche d'une connaissance toujours plus profondes, comme il advient des personnes avec lesquelles on vit pendant longtemps, et dont on prévoit chaque mot et chaque geste. Oui, je la connaissais bien la malléabilité féminine du cuivre, métal des miroirs, métal de Vénus ; je connaissais sa splendeur chaude et sa saveur malsaine, la douceur du bleu-vert de ses oxydes et le bleu vitreux de ses sels. Je connaissais bien, au toucher, l'écrouissage du cuivre, et lorsque je l'ai dit à Faussone nous nous sommes sentis un peu parents : quand on le maltraite, c'est à dire quand il est battu, étiré, plié, comprimé, le cuivre fait comme nous, ses cristaux grossissent et il devient dur, rigide, hostile. Je lui ai dit que j'aurais peut-être pu lui expliquer le mécanisme du phénomène, mais il m'a répondu que cela ne l'intéressait pas et m'a par contre fait remarquer que ça ne se passe pas toujours comme ça : de la même manière que nous sommes tous différents les uns des autres et nous comportons différemment devant les difficultés, il y a des matériaux qui gagnent à être battus, comme le feutre ou le cuir, et comme le fer qui lorsqu'on le martèle rejette ses scories, se renforce et devient, précisément, du fer battu. Pour conclure, je lui ai répondu qu'il fallait se méfier des similitudes, parce qu'elles sont peut-être poétiques mais ne prouvent pas grand-chose : aussi faut-il être prudent quand il s'agit d'en tirer des indications pédagogiques et exemplaires. L'éducateur doit-il s'inspirer du forgeron, qui battant durement le fer l'embellit et lui donne forme, ou du vigneron, qui obtient le même résultat avec le vin en le délaissant et en le conservant dans l'obscurité d'une cave ? Vaut-il mieux qu'une mère prenne pour modèle la femelle du pélican, qui s'arrache les plumes et se dénude pour que le nid de ses petits soit plus doux, ou l'ourse, qui les encourage à grimper au sommet des sapins, puis les abandonne et s'en va sans même se retourner ?
D'une éducation rigoureuse ou de celle où prévaut la libre initiative, laquelle est préférable ? Au diable les analogies ! Elles ont corrompu la médecine durant des millénaires, et peut-être est-ce leur faute si aujourd'hui les méthodes pédagogiques sont si nombreuses, au point qu'après trois mille ans de discussion on ne sait pas encore très bien laquelle est la meilleure.

* En dialecte piémontais : étameur, mais aussi chaudronnier. (N.d.T.)
P97-98-99, édition 10/18.
Commenter  J’apprécie          40





Ont apprécié cette citation (4)voir plus




{* *}