Raphaël Guillet - Doux comme le silence | TEASER
Tout le monde commet des erreurs.
Pourquoi la vie était-elle aussi mal foutue avec la jeunesse, la vigueur, la beauté au début puis le déclin, la décrépitude et la honte à la fin ? Pour quelle raison n’y avait-il pas de happy end comme au cinéma ? La mort au bout, d’accord, mais avec calme et dignité. Kopfertami, jura-t-il intérieurement dans sa langue maternelle.
Anouk avait compris le message. On parle travail d’abord, on mange et on papote ensuite. Alice lui apprit que les deux résidents de Joli-Bois, dont la mort semblait suspecte aux yeux du directeur, avaient déjà été incinérés et leurs cendres disséminées dans la nature.
Deux autopsies en moins, se dit Anouk en levant les yeux au ciel pour le remercier.
– (…)Tu as fini le rapport sur Kevin ?
Elle lui tendit les trois pages imprimées.
–Je te l’envoie par mail si tu préfères.
–Volontiers. Tu as bien relevé ses qualités j’espère ?
–Je crois, oui.
–Il s’emballe un peu rapidement, c’est un pur-sang. Mais un jour, tu verras, il fera un bon inspecteur.
–Tu voulais me dire quelque chose ?
–Oui. Tu vois où se trouve la Fondation Joli-Bois ? C’est une maison de retraite tout près d’ici à côté du fitness. Le directeur a appelé, ajouta Nobel en cherchant le nom parmi ses post-it. Aurélien Favre. Tu feras attention, c’est un ami du procureur Schuler. Ils sont voisins, je crois. Et Schuler insiste pour qu’on lui accorde toute notre attention. Tu peux y aller ce matin ?
Elle détestait sa voix mielleuse et son ton paternaliste. Et il lui filait une nouvelle affaire pourrie.
Alice ne ressentait plus autant d’adrénaline à se rendre au travail depuis que Yerly avait quitté la brigade criminelle. Elle avait perdu un amant et un allié professionnel. Non pas qu’il l’ait favorisée en raison de leurs liens intimes et secrets, mais parce qu’il était l’intelligence incarnée. Il lui avait ouvert les yeux sur le métier. Le nouveau chef d’Alice, Grégoire Durussel – surnommé Nobel parce qu’il croyait tout savoir – la prenait de haut. Elle n’avait droit qu’à des affaires secondaires. Il attribuait les plus importantes à une petite cour d’inspecteurs mâles qui le confortaient dans sa suffisance à force de compliments et de preuves de loyauté.
–Le pentobarbital, tu connais ? dit Anouk.
–Le quoi ?
–Le pentobarbital. Ou le Nembutal si tu préfères l’appellation commerciale. Il y a encore d’autres marques.
Constatant la perplexité d’Alice, la médecin légiste lui expliqua les douces vertus de ce barbiturique capable de plonger un être humain ou un animal dans un sommeil éternel.
–Tu en as retrouvé dans le corps de Madame Steiner ?
–Bien vu, madame l’inspectrice…
–Elle a été empoisonnée ?
–Je ne dirais pas ça comme ça. Peut-être qu’elle le voulait, ce produit.
–C’est ce qui a causé sa mort, tu es sûre ?
Il revint vers Minou, dont les paupières s’étaient refermées, plongé qu’il était dans un sommeil irréversible. Il étoufferait d’ici peu sans même s’en rendre compte. Son cœur battait encore. Le vieil homme le caressa entre les deux oreilles comme pour l’aider à partir. Le petit chat était dans le coma. Son cerveau fonctionnait-il encore ? Revoyait-il les images de sa courte vie ? Les premières courses dans l’herbe. Les croquettes ou la baballe que lui lançaient les enfants de sa famille d’accueil. Qui sait à quoi pense un chat aux portes de la mort ?
Kevin est un jeune homme impulsif, beaucoup trop sûr de lui au point de confondre opinion personnelle et vérité. Dangereux pour un inspecteur. Impatient et intolérant, il a beau aimer ce métier, il ferait mieux d’en chercher un autre. (…) Kevin doit apprendre à maîtriser sa fougue et son impatience. Il agit trop vite. Délicat pour un futur inspecteur. Son énergie et son caractère passionné lui serviront à l’avenir à condition qu’il prenne le temps de réfléchir avant d’agir.
Elle parlait avec un fort accent du nord, raconta son travail lié au grand âge et répondit sans le moindre zèle aux questions d’Alice sur les deux décès qui avaient précédé celui de Jeanne Steiner. Elle avait opté pour la mort naturelle dans son constat de décès puis elle l’avait regretté. Elle avait changé d’optique dans le cas de Jeanne Steiner. En cochant « mort indéterminée », elle déclenchait du même coup l’enquête policière et l’expertise médico-légale.
Il revint vers Minou, dont les paupières s’étaient refermées, plongé qu’il était dans un sommeil irréversible. Il étoufferait d’ici peu sans même s’en rendre compte. Son cœur battait encore. Le vieil homme le caressa entre les deux oreilles comme pour l’aider à partir. Le petit chat était dans le coma. Son cerveau fonctionnait-il encore ? Revoyait-il les images de sa courte vie ?