Si l'on essaie de faire de l'intelligence artificielle, on comprend très vite les limites de la construction et de la technologie de pointe. On est allé très loin dans l'ingénierie mécanique, on fait, aujourd'hui des ordinateurs extrêmement puissants et de plus en plus miniaturisés, mais le vrai problème reste de comprendre comment un enfant apprend la notion de la couleur rouge.
Luc Steels
Il est raisonnable de penser à une émergence d'un nouveau degré d'organisation de l'évolution humaine. La notion de communauté transcende la proximité physique, c'est une transformation de notre façon d'opérer en tant qu'espèce.
Actuellement, la dynamique de la guerre me paraît la suivante : toute puissance armée est devenue impopulaire et elle ne peut reconquérir la popularité qu'à l'aide d'une seconde guerre, une guerre des images.[...] Il faut donc qu'il y ait toujours deux guerres : la vraie, celle qui tue, et puis la guerre qui montre qu'il s'agit d'une opération chirurgicale qui va sauver le monde.
Nous avons la technologie nécessaire pour envahir la sphère privée, il nous manque la technologie qui permette de la gérer.
L’étymologie arabe du mot poésie (chi’r) renseigne sur la pensée d’Iqbal. Foncièrement philosophe dans sa manière d’aborder des problèmes intellectuels débouchant le plus souvent sur des clivages (tradition-modernité, Orient-Occident, foi et raison, religion et science, soi et non-soi), il est d’abord un poète (cha’ir) dans la manière de les percevoir et de les représenter. Cela peut surprendre, mais la raison poétique nourrit la réflexion spéculative dont fait généralement usage un philosophe. Ce mot arabe signifiant « poème » et « poésie » (chi’r) est commun au cheveu et au poil, qui ont la particularité de se hérisser par réaction sensorielle aux stimuli extérieurs. Un poète est donc un individu qui ressent physiquement (cha’ara) le monde à venir et à construire, par tous les cils et filaments de son corps. Capter les signaux alentour par les fibres soyeuses du corps est une manière de faire advenir la vision de ce qui est contingent et à venir. Un homme qui pense et agit en conséquence des idées et des visions affluant vers son Soi doit impérativement cultiver sa fibre poétique s’il veut pouvoir percevoir le réel ainsi à sa portée, celui qui est immédiatement accessible par les cinq sens. Chez Iqbal, il ne peut y avoir de philosophie du concept (de l’Ego ou du Soi) sans qu’advienne la poésie du percept (« Sculpte donc ta forme ancienne et crée en toi un nouvel être »). Philosophie et poésie sont entrelacées et se nourrissent l’une l’autre.
En grec, la poésie (poïesis) signifie « fabrication », « production », tandis que dans l’arabité elle est pure sensation et constitue un passage obligé des humanités : comme l’a évoqué Aristote, et plus encore son commentateur Averroès, la poésie touche, avec la rhétorique, au stade élémentaire de la raison et captive indifféremment la foule et l’élite, car elle mobilise dans ses énoncés l’émotion et l’imaginaire. Au fond, chez les Arabes plus encore que chez les autres musulmans, la poésie est affirmation d’une raison sensible, que l’on retrouve maintes fois affirmée dans le Coran : l’intelligence vient d’abord de ce que l’on est capable de puiser par l’organon incarné dans son propre corps, ses capteurs et ses terminaisons sensori-motrices.
La fibre poétique, chez Mohammed Iqbal, concourt à la captation du monde extérieur par la sensation ou à sa régénération par l'inspiration. (pp. 128-129)
Voici ma définition de la culture : ce qui permet à un homme cultivé de n'écraser personne sous le poids de sa culture. Et la science est ce qui permet à un savant de ne pas abuser de son savoir.