On peut donc en déduire que l'hominisation a commencé quand ces rivalités internes sont devenues assez fortes pour briser les réseaux de dominance animaux, et libérer une vengeance contagieuse. L'humanité n'a pu naître et survivre en même temps que parce que les prohibitions religieuses ont émergé assez tôt pour parer à ce risque d'autodestruction. Mais comment ces prohibitions ont-elles émergé ? Seuls les mythes de fondation (ou les mythes d'origine) nous renseignent sur ce point. Ils débutent en général par le récit d'une crise immense symbolisée d'une manière ou d'une autre : dans le mythe d'Œdipe, nous l'avons vu, c'est une épidémie de peste ; ce peut être ailleurs une sécheresse ou un déluge, ou encore un monstre cannibale qui dévore la jeunesse d'une cité. Derrière tous ces thèmes, on trouve une dislocation des liens sociaux, ce que Hobbes appelle « la guerre de tous contre tous ».
Que se passe-t-il ? Dès que cette agitation a « indifférencié » l'ensemble des membres de la société, l'imitation devient plus intense que jamais, mais opère différemment et avec différents types d'effets. Quand le groupe est devenu une foule, l'imitation tend d'elle-même à le réunifier : des substitutions interviennent, la violence se polarisant sur des antagonistes de moins en moins nombreux, cela jusqu'au dernier. Les hommes ont découvert la cause du trouble et ils finissent enfin par se ruer, comme un seul homme, sur un ennemi désormais universel, ceci pour le lyncher. La même énergie mimétique qui avait provoqué un désordre de plus en plus grand, tant qu'il y avait assez de rivaux pour s'opposer, va finalement rassembler toute la communauté contre le bouc émissaire et faire revenir la paix.