Maintenant qu’une à une sont tombées
les feuilles de ces arbres fatigués
et couvrent tout le sol où nous marchons
avec nos pieds meurtris et crevassés,
pendant que les pourrit le temps aveugle
à tout ce qu’il moissonne à son passage
et ainsi se fondent dans la terre avare
qui les récolte comme le retour
de ce qu’elle a donné pour qu’elles vivent,
revivant de leur vie tantôt perdue,
maintenant il n’y a plus qu’à voir le vert
où dans le souvenir le vert se peint
tandis que nous cherchons l’ombre sous l’ombre
qui se projette à l’ombre du passé.
Je m’émeus dans la cendre de ce soir
porté par de si faibles souvenirs
que me revient le rêve du départ
bien que je sois si près de l’arrivée
et que j’aie tant de raisons de rester
sans souhaiter le temps de s’en aller
ni nourrir des desseins de continuer.
J’avance tel le fou qui se fourvoie
sans arrêt aux détours de son chemin
et sans savoir repasse au même endroit.
Je refais tout l’espace parcouru
et mes questions demeurent sans réponse.
Où aurai-je laissé ce qui est perdu
ou qu’aurai-je laissé en me perdant?
Si fragile toujours, ce pont instable
mais vital, du passé vers le présent,
est, pour moi, source de ce que je fais,
raison d’aimer et d’être et de marcher,
qui me fait avancer toujours plus loin
que si je n’avais pas le temps derrière.
Sur le chemin s’élève la poussière
dorée sous le soleil dans le ciel bleu
du mois d’août, qui reprend celui de mai
et qui d’une heure à l’autre se présente
d’un azur chaque fois plus transparent,
tant que je suis la route et cet azur
de cobalt sur ma tête, tout en bleu,
me recouvre pareil à un très long drap,
m’enveloppant le corps et me laissant
seulement l’illusion du mouvement
où je me leurre en gestes insensés,
car de telle façon je perds mes sens
je me pétrifie de jour en jour,
me sens perdu et sans avoir été.
les feux déjà s’allument sur le port
et les bateaux brisés de tant d’attentes
sont tout prêts et tendus mais à l’affût
des signes définis de la partance
et je m’allume aussi tant que je guette
le signe défini et qui m’attend
où, qui sait, il fut mis ou imaginé
pour que je lève cette ancre de fer
avant que je ne bouge, me tourmente
ce qui en moi hésite à repartir
si épris du désir de ce départ
je suis pris dans le sol de cet espace
je respire l’air rude de ces temps
et mon angoisse épurera mon âme