Dans une vive désolation.
Je ne crois pas en moi en ce moment
Ai-je d’ailleurs été quelquefois autrement
Mais pourquoi vouloir être quelqu’un
Pourquoi ce faux désir de ne pas être oublié des hommes
Puis-je être dans autre chose qu’un devoir
Mais si difficile d’accès malgré cette apparence
Aucune métaphore au violon lyrique ne me traverse
Peut-on avoir plus nettement conscience de sa tombe
Vérité et justice ne me sortent pas de la bouche
Ils sont gravés sur le marbre d’un météore inconnu
Ils passent sur tant de fronts abaissés
Aucun pilier de temple ne peut les porter
Où aller en clarté avec si peu de force
Ce que j’entends du monde m’a jeté si bas
//Gérard Lemaire (1942 – 2016)
(…) Rien à faire. Passer. Suivre son tracé comme un somnambule. Rentrer dans ses tiroirs. Le chômeur est quelqu’un qui se fait tabasser tous les jours : par l’indifférence, le silence efficace, l’incompréhension, la normalité. Même s’il réagit, s’il tente de prendre la parole, on l’ensevelit dans les belles paroles, les vagues promesses. Il est diaphane, transparent, fantomatique. C’est un jeune. Ou vieux. Il n’existe pas, en somme. Un homme n’est jamais chômeur, ou c’est l’exception des exceptions, un K. Traqué par la misère, le chômeur ne se révolte pas, il se cache. Il dissimule ce qu’il peut dissimuler de son drame. On le voit venir de loin, de toute façon. Avec sa dégaine de tristesse. Un air pas du tout « à la mode ». Une dégaine de prolo, de vrai prolo, sans bagnole à la sortie… Il a toujours un peu l’air de trainer, d’être pas bien là. Tout à fait incadrable. Dans l’information, mais en chiffres ! Numéroté ! Vous ne voyez pas un chômeur intervenant dans un débat à la télé : il ne saurait rien dire ! Il dégoiserait !… Montrer cette loque de frusques grises, vous imaginez pas ! Ca vous couperait l’appétit ! La bouche pleine de merde ! Retourne dans ton faubourg, mon pote, dans ta crasse. (…)
Le Journal d’un chômeur
L’envie de vivre…
L’envie de vivre
S’écoule lentement
Derrière les pierres
Une mer d’écritures
Que les vagues effacent
Sous la vague céleste
Est-ce le désir
Qui brouille les cartes
Être le seul n’importe
Cousu dans la déchirure
Dans le grain de poussière
Je trouve mon paradis
Se taire et trembler
Dans l’exubérance des voix
//Gérard Lemaire (1942 – 2016)
Le silence enfin acquis, il ne me restait plus qu'à trouver la faille entre les gonds; déguerpir pour de bon et me soustraire. R R
Un objet déplacé…
Un objet déplacé
Une galaxie de secondes
Un geste d’adieu
Toute une vie
Sous la terre…
Sous la terre
Les cercueils
Continuaient leurs
Voyages immobiles
Nous étions/Optimistes…
Nous étions
Optimistes
Nous nous croyions
Mortels
Mon élan…
Mon élan
S’approprie
La rapidité
De la falaise
Le regard…
Le regard
Apparaît
Loin
Derrière l’œil