Fondées en 2006, organe éditorial de l’association Marseille-Art-Monde, les éditions du Port d’Attache se caractérisent par leur sobriété et leur choix financier. Pour six euros, on peut ainsi acquérir des récits, des nouvelles, des poèmes ou de brèves réflexions. Également journaliste, vieil habitué de "Diérèse", Jacques Lucchesi ne suit pas de ligne précise, mais semble privilégier l’intégrité, un certain désir de vérité.
Ainsi de ce nouveau petit volume, tout bleu, signé Robert Roman, lui aussi familier de la revue : loin de la poésie spiritualiste ou intimiste quelque peu ronronnante, l’auteur propose une série de proses rapides, souvent radicales, inspirées par des rêves plus ou moins troublés. Ainsi, dans le premier texte, « Comme un besoin de se recentrer », le poète évoque la disparition de son propre corps : "Si j’ai tant tardé à t’écrire, c’est parce que j’avais perdu mon stylo mais aussi mon pouce et mon index qui étaient collés dessus. J’ai voulu les chercher mais je me suis aperçu que je n'avais plus d’yeux" (p. 6). Ce fantasme de disparition hante R. Roman, qui semble souhaiter "se dissiper parmi les nues" (p. 39), ou encore "dans le silence enfin acquis (…) déguerpir pour de bon et [se] soustraire" (p. 37). Habitée par l’angoisse, la plaquette entière exprime une crainte face à un monde extérieur menaçant, urbain, Une véritable apocalypse est ainsi évoquée, en filigrane, dans « Bourbier amer », où tout perd sens, où les oiseaux se mettent à écrire de la poésie, où les Indiens massacrent les vaches sacrées.
Pareil onirisme évoque naturellement Lautréamont, ou Breton, ou tout simplement l’art brut, l’art des fous. Passionné de création franche, biographe du regretté Pascal Ulrich (1964-2009), Robert Roman rend hommage à Gaston Chaissac. Le poète/plasticien vendéen est ainsi directement évoqué dans « Suite et fin (en fossé majeur) », poème qui lui est d’ailleurs dédié. Nous devrions dès lors parler d’un surréalisme de la peur, d’un surréalisme d’urgence, le songe n’ayant rien de joyeux ni d’apaisé : "Que ce soit un rêve ou la réalité, la psychose est la même" (p. 23-24). Lui-même micro-éditeur à Toulouse , attaché à l’indépendance, Robert Roman signe là un recueil original, écrit dans un style merveilleusement lisible, loin de tout hermétisme.
Article paru dans "Diérèse" 83, hiver 2021-2022.
Etienne Ruhaud
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