Il ne pouvait plus songer aux animaux sans un frémissement d’angoisse. Il lisait dans les regards des bêtes, il lisait une âme comme la sienne, une âme qui ne pouvait pas parler ; mais les yeux criaient pour elle :
- Que vous ai-je fait ? Pourquoi me faites-vous mal ?
Le spectacle le plus banal, qu’il avait vu cent fois, - un petit veau qui se lamentait, enfermé dans une caisse à claires-voies ; ses gros yeux noirs saillants, dont le blanc est bleuâtre, ses paupières roses, ses cils blancs, ses touffes blanches frisées sur le front, son museau violet, ses genoux cagneux ; - un agneau qu’un paysan emportait par les quatre pattes liées ensemble, la tête pendante, tâchant de se relever, gémissant comme un enfant, et bêlant et tendant sa langue grise ; - des poules empilées dans un panier ; - au loin, les hurlements d’un cochon qu’on saignait ; - sur la table de la cuisine, un poisson que l’on vide… Il ne pouvait plus le supporter. Les tortures sans nom que l’homme inflige à ces innocents lui étreignaient le cœur. Prêtez à l’animal une lueur de raison, imaginez le rêve affreux qu’est le monde pour lui : ces hommes indifférents, aveugles et sourds, qui l’égorgent, l’éventrent, le tronçonnent, le cuisent vivant, s’amusent de ses contorsions de douleur.