J-8 avant nos 10 ans...
Pour se replonger en 2012, Murielle Szac et Bruno Doucey vous racontent l'histoire du livre atypique "Bagdad-Jérusalem, à la lisière de l'incendie", de Salah al Hamdani et Ronny Someck, paru en trilingue arabe-hébreu-français !
ITINÉRAIRE
Parfois
ma bien-aimée
ton visage
cerf-volant ficelé aux nuages
vient de loin, au-delà de la pluie
de l'époque heureuse
où attendre devant ta fenêtre
versait sur un mirage
qui sombrait en lui-même
Lorsqu'il tourne autour de ton corps
ce matin me ressemble
à moi qui me bats contre mes jours
Salah Al Hamdani - Par la fenêtre de l'étranger
Le monde est en feu, je l'aime…
Le monde est en feu, je l'aime,
En feu la laisse du chien qui m'a conduit aveugle
dans un amour ancien,
en feu le chacal qui hurle dans une chambre de soldat face
à une porte fermée à clé,
la queue-de-cheval derrière une nuque hollandaise,
les lèvres où s'étale un lipstick canadien,
en feu le glaïeul qui a griffé la terre
d'une poétesse de Kiryat Ono,
en feu les vers de celle qui a toujours écrit
sur les roues du camion qui a fini par l'écraser,
en feu le sol qui garde les traces
de ma première danse,
en feu la lune
et ses dunes de sable,
la tempête,
la mer dont les vagues se mettent à genoux
devant l'allumette
qui met le feu aux poudres.
//texte inédit, 2017 ,traduit de l'hébreu par Michel Eckhard Elial
Un chiffon brodé.
Poème sur Oum Kalsoum
Elle avait une robe de soie noire
et les marteaux de sa voix enfonçaient des clous d’acier
dans un coude posé sur la table du café
de la place Strouma.
« J’ai accoutumé mes yeux à te voir
et s’il t’arrivait un jour de ne pas venir,
ce jour s’effacerait de ma vie. »
Je suis venu et j’ai effacé avec une éponge un aigle géant
dessiné à la craie
sur un morceau de nuage.
Sous ses ailes flottaient un chiffon brodé
que le cuisinier de la base militaire de Beer Ora
avait accroché après des années à la boutonnière de son
pantalon.
Je lui ai demandé quelques oranges
et dans le lecteur de cassettes, sa robe noircissait à nouveau.
Il a arrêté de ses yeux les vapeurs du déjeuner tout en
épluchant ses patates.
Qui est-ce qui chante, me suis-je hasardé, Oum Kalsoum ?
Il a acquiescé de la tête.
Je pouvais dévaliser toute la cuisine, çà lui était complètement
égal.
Traduit de l’hébreu par Emmanuel Mosès
Revue « Europe »
Sonnet d'été
L'été est le crayon
le moins pointu
dans la trousse des saisons.
Il m'aide à écrire
une lettre d'amour
à une couturière qui a découpé
sur des chemisiers de femmes
des cols pour cacher la nuque
et des pans de robes
quelques centimètres
d'hiver.
Peut-être cette année aussi,
fera-t-il chauds aux endroits
les plus bas.
p.43
Albanie, vers la citadelle Kruja
À Ukzenel Bucpapa
Le jus qu’on va tirer des feuilles sera l’encre verte
dont je me servirai pour décrire les oliviers
sur le chemin vers la citadelle.
Ici ils ne sont pas plantés comme des cartes de visite
que Noé avait éparpillées après
le déluge,
c’est un souvenir du prince Scanderberg qui, au quinzième siècle,
avait ordonné à tous les nouveaux mariés
de planter dix arbres au nom de leur amour.
Les canons de l’histoire, pour embellir le langage,
ne se sont jamais tus ici. La terre qui parlait
le bulgare, le turc et l’talien se tait
maintenant en albanais.
Le sang dont elle est imprégnée jaillit toujours des pompes du cœur,
et sur les troncs des arbres un autre cœur s’incruste avec, dedans,
la promesse que, dans cet amour, personne
n’arrêtera le déluge.
Traduit de l’hébreu par Marlena Braester
"N'oubliez pas de fermer
Derrière vos jours
Les volets de vos amours
De plier le jardin
D'arracher les saisons
De sillonner le ciel
De tirer sur la lune
De bousculer les étoiles
Puis une fois arrivés au pays
Prenez tout
Et oubliez moi."
"Extrait de poémes avant le retour, dans Bagdad mon amour".
ÉCLAT DE VERRE
Tu dis que l'amour ressemble à un verre.
Il se brise si on le serre
trop fort ou pas assez.
Sur l'arête vive les poètes
écrivent les poèmes. Pas moi.
Je suis le géologue des couches de rouge à lèvres
étalé sur le verre comme une serviette
trempée dans le sang du taureau.
Ronny Someck - Mon grand-père est né au pays de l'arak
D.J. au refuge de femmes battues
Je veux être D.J.
dans un refuge de femmes battues,
chanter des chansons pour pêcher des poissons-épées
au fond de l'oeil, noyer les requins de douleur
et remplir de poissons d'or l'aquarium du coeur.
Mais l'oreille des femmes battues
est une fosse remplie d'insultes,
elles sont effrayées par toute égratignure sur les lèvres du mot,
du couteau aiguisé comme la langue,
de la soie du mensonge qui tapisse le fond de la gorge.
"Femmes, femmes", je murmure, je suis griffonné
comme une page arrachée au livre de vos vies,
et vous êtes les vers du blues que je composerai pour vous
dans l'alphabet du temps où vous n'étiez rien de plus
que de la chair jetée par le boucher de l'enfer.
Nous sommes posés sur le gâteau
comme des figurines de mariés,
quand le couteau tranchera
essayons de rester sur la même tranche.
(Poème de bonheur)
Poème d'éloge au magazine de mode Burda
Je suis fils de couturière, enfant je prenais
les cyprès pour des aiguilles vertes
un trou pour la terre défaite
je comparais la tempête marine à une houle frappant les vagues
avec le bleu d'une bobine de fils.
À la fin de chaque jour mon père enroulait le mètre à mesurer
qui se tordait comme un serpent sur le fauteuil,
et je caressais d'un aimant le visage soyeux du tapis
pour redresser les aiguilles noyées entre les poils.
Ma mère naviguait vers des pays dont les frontières étaient les lignes pointillées
des pages à découper dans le journal de mode Burda
elle rêvait de remplir de paillettes la robe de soirée de Grace Kelly, la princesse de Monaco.
Elle ne l'avouera pas, mais moi qui me piquais le bout des doigts
avant que j'apprenne à coudre des boutons de rêve sur mes chemises de jours,
je peux en témoigner sous serment.