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Citation de tiaconelli


Les morceaux de choix de tous ces animaux, c'étaient les parties molles: non qu'elles fussent très ragoûtantes. Mais quand vous avez passé la journée à courir affamé sur vos pattes de derrière, et si vous voulez nourrir votre cerveau, vous ne faites pas le délicat. Ces morceaux-là étaient l'objet de grandes compétitions. Et nous avions un goût particulier pour tous les animaux spongieux, qui soulageaient nos dents et nos estomacs.
C'était encore ainsi il n'y a pas longtemps; pourtant je me demande combien de gens s'en souviennent aujourd'hui. Combien se rappellent ces indigestions qui nous torturaient jadis. Et même combien y succombaient. Et cette mauvaise humeur des premiers pionniers subhumains, constamment aigris par ces dérangements gastriques! Allez donc arborer un visage ensoleillé quand vous souffrez d'une colite chronique! Car qu'on n'aille pas croire que quitter un régime purement végétarien (et même composé essentiellement de fruits) pour devenir omnivore, ce soit une opération aisée! Non, cela demande au contraire une patience et une obstination énormes. Garder dans l'estomac des choses qui vous dégoûtent, et de plus qui vous rendent malade, cela exige une discipline de fer. Seule une ambition farouche d'améliorer votre situation dans la nature pourra vous soutenir dans une telle transition. Non que vous ne tombiez de temps en temps, je ne le nie pas, sur quelque friandise; mais toute la vie n'est pas ris de veau et limaces. Dès le moment que vous prenez pour but de devenir omnivore, il faut, comme le mot l'indique, apprendre à manger de tout. De plus, quand ce que vous avez – ce qui est de règle –, c'est de la vache enragée, vous ne pourrez vous permettre d'en rien laisser dans votre assiette. Comme petit enfant, on m'a encore élevé strictement selon ces principes. Oser dire à maman qu'on ne voulait pas de ceci ou de cela, de la fourmi pilée, du crapaud mariné, c'était vouloir s'attirer une bonne baffe. «Finis-le, c'est bon pour ta santé», voilà la rengaine de toute mon enfance. Et c'était vrai, bien entendu: car la nature, en merveilleuse adaptatrice, finissait par durcir nos petits intestins et par leur faire digérer l'indigeste.
Devenir carnivore est beaucoup plus pénible que de l'être de naissance, car n'oubliez pas que les félins, les loups, les chiens, les crocodiles déchirent seulement leur viande en morceaux et l'avalent tout rond, sans se soucier si c'est de l'épaule, du rumsteck, des tripes ou du foie; tandis que nous, nous ne pouvions rien engloutir sans l'avoir longuement mastiqué. «Mâche trente-deux fois avant d'avaler», encore une maxime de mon enfance, sinon c'était un bon mal de ventre, aussi sûr que deux et deux font quatre. Quelque répugnant qu'en fût le goût, la langue et le palais devaient donc l'explorer à fond, et il n'y avait qu'une sauce à tout cela: notre appétit. Mais cette sauce-là, nous n'en manquions jamais.
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