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Citation de salbeiextrakt


Mes trois colocataires travaillent, et à l’instant où le dernier d’entre eux referme la porte d’entrée, un peu après neuf heures, j’ai l’impression que les murs, les plinthes et le parquet s’affaissent imperceptiblement et que l’appartement se métamorphose : il fait plus chaud, et le silence qui suit les douches, le va-et-vient entre les pièces et le bruissement des manteaux qu’on enfile a quelque chose de plus paisible que celui qui précède la sonnerie du premier réveil. C’est comme si, tout à coup, ces pièces reprenaient vie, mais une vie somnolente et inutile. Souvent, l’après-midi, je vais passer du temps dans l’une ou l’autre sans rien y faire, pour voir cette vie remuer à la surface des petites flaques qui restent dans la baignoire, le long des canalisations et jusque dans les plis des vieux torchons rigides qui traînent sur la table à manger. J’ouvre et referme les grands tiroirs de la cuisine, j’actionne le presse-agrumes à vide et je relis les citations d’artistes ou d’écrivains célèbres que mes colocataires ont punaisées au mur. Il y a de drôles d’objets sur le frigo : des cruches, des baguettes transparentes, une espèce de plateau gravé et un décapsuleur en forme de tour de Pise. Je ne sais pas si quelqu’un les a mis là pour décorer ou s’ils ont une utilité quelconque. Par terre, dans les armoires comme sur le plan de travail, les choses paraissent figées dans une saleté définitive qui rend cet espace-là beaucoup plus chaleureux que le mien. Je ne tiens d’ailleurs pas plus à l’ordre et à la propreté de ma chambre qu’à la vaisselle qui déborde de l’évier bouché, aux pommes en décomposition et aux briques de lait et de jus de fruits laissées ouvertes du matin jusqu’au soir. Je m’assois à la table et je respire l’odeur dont toute la ville est faite, mais que j’ai le sentiment de retrouver ici à l’état pur : l’odeur du pain rassis et des épices, et des mégots dans les bouteilles de bière. Je reste là à écouter le bourdonnement du frigidaire, le bruit des portes ouvertes et refermées dans la cour de l’immeuble, et peu à peu je ne fais plus rien qu’attendre, l’esprit vacant, jusqu’à ce que la nuit vienne.
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